Les chemins de vie se croisent et se décroisent

ou la route vers l'amitié.

Lauréna in Loveland
7 min ⋅ 12/02/2023

@drawingolive@drawingolive

J’adore ce dessin, sur lequel est représenté différentes lignes. Elles évoquent les relations et notamment, l’amitié. Il y a les fusionnelles, deux routes côte à côte, sans obstacle. On trouve aussi des chemins plus sinueux, avec des hauts, des bas, qui se suivent puis se séparent. Certains se retrouvent un jour, quand d’autres prennent des trajectoires totalement différentes, sans jamais se réaligner. 

Il y a quelque temps déjà, j’ai accepté le fait que l’amitié ce n’est pas linéaire. Ce n’est pas une autoroute bien droite, sur laquelle on monte dans une jolie familiale. On ne conduit pas à deux les fenêtres ouvertes, le soleil couchant, le sourire aux lèvres et l’album de Jack Johnson en fond.

Si j’adore parler d’amour, de mes relations avec les hommes, je n’en oublie pas moins mes amitiés. Ces liens si forts, tissés au fil des années ou des mois, dont je ne pourrais me passer. En amour, on se marie, on signe un contrat, on travaille sur sa relation. En amitié, s’il n’y a aucun papier qui nous unit les uns aux autres, maintenir ce lien si précieux, demande du temps, de l’énergie, de l’investissement. De l’amour. On choisit ses amis pour mille et une raisons, et certaines fois parce que la vie en a décidé ainsi. Je te choisis toi, pour être mon confident, la personne qui essuiera mes larmes, me fera rire jusqu’à en avoir mal aux abdos. Je te choisis toi petit humain au milieu d’une foule d’humains, pour être cette personne avec qui je partagerai les bons comme les mauvais moments, personne à qui je donnerai sur un plateau ma confiance, mon affection, personne qui deviendra un refuge au cœur de l’hiver, une bouffée d’air frais durant la canicule de l’été. Mon amie, celle qui me suit au fil des années, qui m’aime telle que je suis, avec ma folie, mes névroses, mes peurs, mais aussi mes qualités, ma bienveillance et ma fidélité, sans jamais rien me demander en retour. Je te choisis.

Lorsque j’étais à l’école primaire, j’ai vécu un énième chagrin amical. Nous étions un trio, qui, de temps à autre, se transformait en duo. Donc forcément, les larmes, la peine, "Machin n’est plus ma meilleure amie". Je me souviens très bien de ce jour où mon père m’a expliqué "l’amitié ça va, ça vient". Il me l’a répété durant ma pré-adolescence. Moi, je ne voulais pas de ça, je ne voulais pas que ça vienne et que ça reparte, je voulais que ça dure. Quelques années plus tard, j’ai croisé la route des nanas les plus cool de l’univers. Des femmes toutes différentes, avec leurs expériences, leurs passions et pourtant, un lien aussi fort que la roche, nous unit. Le lien de s’être rencontré au bon moment, d’avoir allié nos forces au milieu du torrent d’émotions qu’est l’adolescence, pour s’aimer très fort, se soutenir et décider, de ne jamais arrêter. Dix ans plus tard, on se retrouve en terrasse, on prend l’avion pour vivre une semaine au bord de la mer en plein cœur de l’hiver, on mange plus que de raison lors d’un brunch à la maison, on s’appelle en visio pour se raconter une histoire, on s’écrit des mots d’amour dans une conversation qui date de nos 17 ans. L’amitié ça va, ça vient, je n’ai jamais voulu le prendre en compte. À la place, j’ai voulu m’entourer de soleils, et ces soleils gravitent autour de moi quoi qu’il arrive. Peu importe la distance, les routes que l’on emprunte. 

Il y a quelques semaines, j’ai dévoilé à ma psy ma peur d’être oublié. Tu quittes un travail, une ville, un pays, mais que restera-t-il de toi ensuite ? Est-ce que toutes ces personnes qui forment ton quotidien, seront toujours là ? Est-ce que ces mains tendues, le resteront ? Que deviennent les relations, lorsqu’un océan nous sépare, quand le décalage horaire nous empêche de nous connecter à toute heure du jour et de la nuit ? Que se passera-t-il, quand les événements auront lieu à deux endroits différents, sans que nos verres trinquent, nos regards se croisent et nos rires forment cette symphonie si précieuse, qui réchauffe l’âme et maintient cette relation qui nous lie ? Qu’en est-il de nos amitiés, quand notre route prend une autre direction ? Ma psy m’a souligné : "Vous ne vivez pas pour les autres, vous vivez pour vous"

Moi, mes cartons remplis de mes souvenirs, mes valises vides prêtent à recueillir tout un lot de beaux moments et des chemins, qui inévitablement, vont se couper, s’éloigner, se retrouver, ou peut-être pas. 

Ces dernières semaines, ma vie est une succession de rangement et de retrouvailles. À quelques jours de mon grand départ de ma capitale adorée, les derniers instants passent à une vitesse folle : voir le plus de personnes dans le moins de temps, juste une dernière fois. Enfin, juste une dernière fois avant la prochaine. 

Parmi mon marathon de l’amitié, je prends plaisir à analyser mon rapport aux autres. Récemment, j’ai passé toute une soirée avec mon amie du collège. J’avais 14 ans et elle en avait 12, quand on a commencé à développer cet attachement si fort, qui n’a jamais cessé de nous relier. Elle m’attendait sur le trottoir dans le 10e arrondissement, je l’ai vu au loin, pour la première fois depuis dix ans. C’était comme si rien n’avait changé. Il existe des personnes, dont la route va s’éloigner de la tienne, et se recroiser un soir de février, dix ans après. Durant les heures qui suivront, on se fera un condensé de ces vies, de ces instants qui nous ont façonnés, nous ont fait grandir. Et la joie inexpliquée provoquée par ce sentiment : rien n’a changé. Il existe des personnes, à qui tu écriras une ou deux fois dans l’année, pour l’anniversaire, pour dire "je pense à toi", que tu ne cesseras d’aimer, pour la personnalité, les événements vécus, mais dont la route, ne sera presque jamais alignée sur la tienne. Et c’est toute la beauté de cette histoire, s’aimer, fort, toujours, même de loin. 

Ce n’est pas linéaire. Je me répète souvent cette phrase. Je pense qu’en réalité, mon père voulait dire ça. Il ne voulait pas signifier que l’amitié est un concept éphémère, qui ne dure pas dans le temps. Mais bel et bien un mouvement de vague, qui t’enroule de douceur, mais qui peut aussi s’éloigner. Pour tout un tas de raisons. 

La distance, les relations amoureuses, la jalousie, l’anxiété, la perte d’un proche, une pandémie mondiale, de nouvelles amitiés, un nouveau travail, une démission, une perte de repère, un voyage. Mais les plus belles relations, celles qu’il ne faut jamais s’arrêter de chérir, de soigner, de caresser, ce sont celles qui résistent à tout ça. Qui résistent aux montagnes russes de la vie et qui t’écrivent "je sais que je ne suis pas très présente, pour des raisons, mais mon amour pour toi ne disparaît pas, je suis heureux.se de savoir que tu vas bien".

Quand j’explique que je m’apprête à vivre sur un autre continent, avec presque aucun plan, on me dit que je suis courageuse de partir seule. En réalité, je suis la personne la plus chanceuse du monde, avec les étoiles alignées pour éclairer mon chemin. À Montréal, je retrouverai l’amie à côté de qui j’ai été assise tous les jours durant mes quatre années du collège. Celle qui m’a indiqué que ce n’était pas normal si le tableau était flou, quand je ne savais pas encore que j’étais myope. Celle qui m’a écrit une fois adulte pour s’excuser d’avoir été extrême, parce que quand on a 13 ans, on a aucun bagage et de temps à autre, on peut être excessive. Je retrouverai aussi deux ami.es du lycée, qui n’ont cessé de m’écrire ces derniers mois, pour affirmer leur impatience, me rassurer, me conseiller. Mais aussi cette nouvelle amitié, qui s’est développée aux fils des mois, dans un open space qu’on avait hâte de quitter, dont le soutien sans faille, s’est manifesté très rapidement. 

Une de mes meilleures amies veut m’accompagner à l’aéroport. Il y a quelques semaines, elle a pris ma main pour me dire que ça allait être compliqué sans moi ici, et j’ai senti qu’elle allait se mettre à pleurer. "On ne vit pas pour les autres", mais quand on trouve des autres exceptionnels, c’est difficile de les laisser s’éloigner. Pourtant, je chéris tous ces instants partagés. Je chéris la vie, d’avoir placé nos chemins côte à côte, pour qu’on se tienne la main le long de la route, pour qu’on se soutienne, qu’on se fasse sortir de nos coquilles mutuelles et qu’on vive pleinement, avec plus de passion, d’envie, de confiance, qu’il y a dix ans. Je chéris les amitiés de toujours, comme les plus récentes. Ces êtres qui me portent chaque jour, ces femmes à qui j’écris quotidiennement, celles qui m’appellent à la seconde où elles lisent mon message "c’est terminé, j’ai pleuré", celles chez qui j’ai débarqué avec un kit anti-rupture plus d’une fois, celles qui ont mis les bougies sur mon gâteau d’anniversaire, qui m’ont suivi dans des karaokés toujours plus endiablés, qui ont toujours préféré les brunchs aux cocktails, mais avec qui on a pu parler de la vie pendant des heures. Celles avec qui on se retrouvait pour un petit café, avant de se quitter plus de cinq heures après.

Dans un épisode du podcast Le Cœur sur la Table, Victoire Tuaillon annonce :

Nos plus grandes, belles, solides, longues histoires d’amour, nous sommes peut-être déjà en train de les vivre : sans prince charmant, mais avec nos ami.es.

Je pense qu’ici comme là-bas, je continuerai d’être attirée par des histoires compliquées, des hommes aux attentes différentes, je continuerai de courir après les anecdotes les plus improbables, pour faire mon intéressante, faire rire mes ami.es, mettre du piment dans mon quotidien. Peut-être qu’un jour, je rencontrerai quelqu’un avec qui ce sera sain, doux, ça durera, ou non. Je n’en sais rien. Mais ce que je sais, ce que j’ai accepté les bras grand ouvert, ce qui est sûr et certain dans cette vie étonnante que j’ai décidé de mener : mes amitiés seront mes amours de toujours. À Paris, Pézenas, Toulouse, Orléans, Marseille, Montpellier, Montréal, des sourires s’afficheront sur le visage de ces êtres incroyables, qui ornent mes albums photos, qui vivent dans mes plus beaux souvenirs, qui m’ont accompagné, m’accompagnent chaque jour et m’aiment indéfiniment. C’est une chance infinie, et peu importe que nos routes se séparent, se cabossent, qu'elles s’éloignent, le plus important, c’est ce que nous avons vécu. Ces moments ont existé, ces relations étaient réelles, ces sentiments étaient sincères. 

Je crois qu’elle est là ma plus grande force. Ce n’est pas le courage de partir seule, la créativité qui m’anime ou la sincérité que je mets dans mes mots, non, ma plus grande force, c’est l’entourage que je me suis créée. Inviter dans sa vie les bonnes personnes et finalement, ne jamais être seule. 

À tous ces chemins parcourus à deux, à ceux qui se sont éloignés sans jamais dissiper l’affection, à ces relations qui datent depuis plus de dix ans, comme à celles qui viennent tout juste de naître. Aux connaissances qui sont devenues des ami.es, aux amies qui sont devenues des sœurs. À ceux qui ont déjà acheté leur billet d’avion pour venir me retrouver, à celles qui ne viendront peut-être pas, mais que je reverrai avec le même amour dans quelques années. À celles qui répondent au téléphone dès la première sonnerie, qui font des vocaux de 14 minutes pour raconter une histoire, qui écoutent chaque anecdote avec passion. Aux personnes qui soutiennent la moindre graine de projet et qui t’aident à la faire germer, qui te disent "cette relation, c'est une mauvaise idée, mais je serai là quoi qu’il arrive" et qui sont là quoi qu’il arrive. À celleux qui te présentent leurs ami.es qui deviendront ensuite les tiens, qui te nourrissent, te soutiennent, te disent à quel point iels sont fier.es et heureux.se pour toi. À ceux qu’on voit une fois dans l’année pour l’anniversaire, comme à celles qui auront enjolivé les journées au bureau. À celles avec qui il suffit d’un regard pour se comprendre.

L’amitié ça va, ça transforme ton quotidien, ça l’embellit, quelquefois ça fait plus mal que l’amour, ça ne s’explique pas toujours, ça sublime les instants simples, ça vient et puis, ça dure. 

Bisous,
Lauréna (et Vava, comme disent les ami.es)


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Lauréna in Loveland

Lauréna in Loveland

Par Lauréna Valette

Journaliste, autrice de “Il était une fois l’amour” à paraître le 15 novembre 2024 aux Éditions Mango, professeure de yoga sur mon temps libre, voyageuse… Je ne tiens pas en place et j’ai constamment une nouvelle idée en tête. Ici, je publie mes écrits sur l’amour et la vie.

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