Lauréna in Loveland

Un voyage à travers les relations et la vie d’adulte.

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Par Lauréna Valette
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Épisode 2 : 21,1km - 2 heures, 23 minutes et 33 secondes

J'ai 9 ans, je suis la plus grande de ma classe, la plus mince aussi, et je commence à croire que je suis nulle en sport. J'ai 15 ans, l'idée d'enfiler un jogging dans les vestiaires pour me rendre en cours d'EPS me tord l'estomac. J'ai 18 ans et je n'aime pas le sport. À presque 29 ans, j'ai couru mon premier semi-marathon et j'en suis si fière.

J’ai couru mon premier semi-marathon.

J’écris “premier”, comme s’il s’agissait du premier d’une longue liste. J’écris premier comme si j’allais recommencer. J’écris premier, pour me rappeler, qu’à presque 29 ans, on peut toujours avoir la chance de goûter aux premières fois. On continue, d’essayer de nouvelles choses, de vivre de nouvelles sensations, d’affronter la boule au ventre, la peur fidèle face à l’inconnu.

J’ai couru mon premier semi-marathon. J’ai couru, un, semi-marathon. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup

21,1 km en 2 heures, 13 minutes et 33 secondes. 

Quand on commence à faire de la course à pied, les secondes prennent une toute autre tournure. Ce ne sont pas 2h14, les 33 secondes comptent. C’est comme lorsque l’enfant dit “demi” pour décrire son âge. “Je n’ai pas 9 ans, j’ai 9 ans et demi.”. À 28 ans et demi, j’ai couru 21,1 km en 2 heures, 13 minutes et 33 secondes. Trois ans après avoir enfilé des chaussures de course pour la presque première fois.

Il y a trois ans, alors que j’allais voir une psy pour comprendre mes relations, évoquer mes peines et mettre des mots sur des histoires que l’on préférerait garder enfouies (j’en parlais ici : J’ai payé une maison de campagne à ma psy à cause des hommes), elle m’a recommandé de trouver une nouvelle activité. Un troisième confinement bloquait les rues de Paris, la vie était une nouvelle fois en pause. Je n’avais plus les concerts, les musées, les bars ou les studios de yoga. Que faire après le travail, alors que la vie semblait s’éteindre une énième fois ? Quand elle m’a demandé ce que j’avais toujours voulu faire, mais que je ne faisais pas par manque de temps, j’ai évoqué la course à pied. J’étais étrangement attirée par ce sport, autant qu’il m’effrayait.

J’ai attendu près de 22 ans avant d’aimer le sport. Je le détestais viscéralement : la transpiration, les tenues molles, les gymnases. Le plus beau cadeau que mes parents pouvaient me faire était un mot pour me dispenser des cours de sport au collège et au lycée. J’ai même accentué mes douleurs d’adolescente pour pouvoir sécher ces cours. Tout était une excuse justifiable pour ne pas enfiler un jogging, courir le long de la piste, taper dans un ballon ou tenir une raquette. J’étais nulle à ça, sans aucune envie de réussir. Je voulais rester le plus loin possible de l’activité physique. Jusqu’au jour où j’ai eu envie d’essayer le yoga. Et c’est là que je me suis réconciliée avec le sport, avec mon corps, avec mon esprit. Puis, je me suis mise à aimer ça. Pour de vrai.

Néanmoins, ce n’est pas pour cela que la course à pied m’attirait. Je voulais en faire partie. Ma mère et mon frère sont des coureurs. Je les ai toujours vus enfiler leurs baskets et fouler la ville, la campagne, le long de la mer, à la recherche des kilomètres. Ils ont des médailles, ils se félicitent. Ils sont sportifs. Alors, quand ma psychologue m’a demandé cela, à 25 ans, alors que je reconstruisais ma vie, brique après brique, suite à ma rupture, moi aussi, j’avais envie d’en être. De rejoindre le club de ceux qui courent. De vider mon esprit par le sport, de muscler mon grand corps. Et finalement, de me prouver, après des années à me croire nulle, à détester courir plus que de raison, que j’en étais capable.

J’ai sans doute mis trois ans avant de réellement aimer ça. Pas de mensonge ici, ce sport est horrible. Notamment quand tu reviens d’aussi loin que moi, c’est-à-dire le cardio inconnu. Mais malgré quelques pauses de plusieurs mois, je n’ai jamais arrêté. J’ai tenu bon, j’ai couru de temps en temps, parfois plusieurs fois par semaine, parfois une fois par mois. Mais j’ai continué à en faire une habitude, à essayer de trouver la motivation, même quand j’aurais préféré scroller sur TikTok plutôt qu’enfiler mes baskets. Quand j’ai annoncé mon intention de quitter Paris, j’ai voulu courir le semi-marathon. Je trouvais que c’était une belle clôture à mon histoire d’amour avec la capitale, fouler une dernière fois ses rues que j’ai tant aimées. Mais la motivation était aux abonnés absents. Je n’avais pas le courage de m’entraîner dans la morosité de l’automne et j’ai préféré savourer mes derniers mois à la capitale sans m’imposer de régularité sportive. Je n’étais finalement pas prête.

C’est à Montréal que j’allais courir ces fameux 21,1 km pour la première fois. Les copains sportifs que je rencontrais me juraient que j’en étais capable. Pourtant, j’ai dû écrire un livre pour enfin réaliser qu’ils avaient raison. Avant même de signer mon contrat d’édition, en janvier, je me suis dit qu’elle était là, ma bonne résolution : en 2024, j’allais essayer d’enfin courir un semi-marathon. Je n’avais pas couru celui de Paris en 2023, mais cette année, c’était la bonne. Seulement, mon gros et beau projet a occupé une grande partie de mon année, et j’ai mis de côté mes ambitions sportives. Elles attendraient.

En juillet, je suis revenue à Montréal après un mois en France, après avoir rendu le manuscrit. Libre. Du temps. J’en avais enfin. Après presque six mois sous apnée, j’avais du temps devant moi. Alors, j’ai repris la course à pied. Peut-être achèterais-je un dossard pour le semi, peut-être pas. Aucune pression. J’y vais à mon rythme et on verra.

Et puis la vie, l’univers, qui sait, a mis sur mon chemin des hommes qui eux aussi voulaient courir et surtout, couraient. Ils m’ont motivée, ils m’ont attendue, ils m’ont répété que j’en étais capable. Pour la première fois dans ma vie, j’avais une bande d’amis au masculin qui me poussaient vers le haut, qui croyaient en moi, sans arrière-pensée, sans mensonge. Au fil des kilomètres, sous le soleil, sous les arbres, sous la pluie, moi aussi, j’y ai cru.

Après quoi court-on ? 

Au début, je courais pour faire comme les autres, pour m’évader, pour accéder à une activité qui me faisait du bien dans une période aussi trouble que celle d’après la pandémie. Puis, un jour, je me suis mise à courir après moi-même, mon ego. Courir pour résister au stress, me répétant que si j’étais capable de faire 10 km, j’étais finalement capable de beaucoup. Et enfin, courir pour me prouver à moi-même. Mais que doit-on se prouver ? Est-ce bien utile de se prouver quoi que ce soit ? N’est-ce pas un délire narcissique ?

Me répéter à chaque kilomètre que si j’ai réussi à écrire un livre en quatre mois, si j’ai supporté le stress, le syndrome de l’imposteur, la pression que je me mettais, alors finalement, j’étais capable de courir. D’abord 10 km, puis 15, puis 18 et finalement, 21,1 km. J’en avais la force. Parce qu’il n’y a rien de plus que le mental. C’est ce que j’ai appris cette année 2024, une année où les défis se sont enchaînés, comme pour me prouver que je pouvais y arriver. J’en étais capable. J’avais la force, mentale.

Entraîner son corps à courir, c’est essentiellement ça finalement, de l’entraînement. Entendons-nous bien, c’est énorme et selon vos objectifs, cela sera difficile. Mon seul objectif était de franchir la ligne d’arrivée. Peu importe le temps que cela prendrait, 2h30 s’il le fallait, 3h. Peu importe si je courais lentement, si je marchais, tout ce que je voulais, c’était franchir la ligne d’arrivée et me dire : tu as réussi. Tu es capable de courir 21,1 km. Tu es capable de tout, tant que tu en as envie et que tu te bats pour y arriver.

Et c’est comme ça que j’ai découvert que la course à pied, c’était avant tout une course contre son esprit. C’est lui qui pilote, qui envoie les messages au corps, aux muscles. Fatigué émotionnellement, c’est lui qui insiste pour ne pas avancer, pour ne pas réussir à se motiver. Puis, sûre de soi, fière de soi, prête à y arriver, c’est lui aussi qui efface toute douleur, toute difficulté, et qui invite à mettre un pied devant l’autre, en rythme, à fouler la ville et à ne pas abandonner.

J’avais la sensation de voler. Au milieu du monde, au milieu des cris, des encouragements et des pancartes, j’avais l’impression de planer dans ces rues que je connais tant. Dans ces rues que j’aime, que j’emprunte, qui me rappellent de nombreux souvenirs, dessinés ici durant ces deux années.

Plus les kilomètres s’ajoutaient, plus je me rapprochais de l’arrivée, plus je réalisais que j’en étais capable. J’avais tellement douté. Trois années à répéter que je voulais courir un semi-marathon, pourquoi je n’en savais rien, je voulais juste être quelqu’un qui a terminé un semi-marathon. Non pas pour m’en vanter, mais pour moi, pour me sentir capable. Il n’a jamais été question de courir pour les autres, pour être quelqu’un d’autre. Au contraire, j’ai longtemps couru seule, préférant me perdre dans mes pensées que me sentir en compétition avec ceux qui étaient de vrais sportifs.

Mais je crois que ça fait partie de ces revanches que l’on souhaite prendre sur la vie en grandissant. J’ai longtemps conservé les mots lancés au hasard de l’adolescence, qui marquent plus que de raison : “Non, pas Lauréna dans notre équipe sinon on va perdre”, “Toi, tu es une littéraire, tu ne feras jamais rien de ta vie”, “Tu es grande et maigre comme une planche à pain”, “Non mais Lauréna, elle ne sait pas danser/courir”, “T’es tellement nulle”. Les mots qu’ils disent, les mots qu’on entend, les mots qu’on croit et finalement, les mots qui marquent sur la peau, l’esprit, dans le corps. Des remarques anodines, fidèles à l’adolescence, mais qui s’ancrent à une époque où tout est en construction.

“Et s’ils avaient raison ?”. Je n’avais pas besoin d’une médaille pour me prouver le contraire, mais je ne refuserais jamais un gros collier doré qui crie “Cheh, regardez bien de quoi je suis capable”.

Grandir, devenir adulte, prendre son indépendance, partir, loin, se perdre dans les villes, les pays, les continents. Mener de grands projets, toujours des projets, toujours des idées. Vivre à cent à l’heure, avoir une vie “qui donne le vertige”, comme diront certains. C’est peut-être aussi un peu ça, prendre sa revanche.

Je n’ai rien à prouver à personne. Je me prouve seulement à moi-même que je ne suis pas ce que quiconque a pu penser un jour. Je suis la somme des années, je suis celle qui n’y arrivait pas, qui ne se sentait pas capable. Je suis celle qui aujourd’hui gravit les montagnes, soulève ses épaules si on doute d’elle. Je suis celle qui croit en elle, en ses capacités. Je suis capable.

J’ai couru 21,1 km. Et les derniers mètres, je les ai courus comme si toutes les Lauréna étaient à mes côtés. On se tenait la main : celle qui était assise chez la psy en essayant de comprendre comment elle allait réussir à gérer des relations alors qu’elle n’était qu’un être cassé, celle qui courait pour la première fois sur les quais parisiens, celle qui a couru un soir de décembre le cœur brisé parce que celui qu’elle aimait n’était pas venu la chercher à la gare parce qu’il ne la ferait jamais passer en priorité et qu’elle savait que cette histoire devait se terminer, celle qui courait parce que trop travailler lui crée de l’anxiété. On était toutes là, à courir de plus en plus vite, après les secondes. Chaque seconde gagnée était finalement une victoire contre soi-même, contre le passé, contre les craintes. Et puis, l’émotion.

L’émotion qui s’écrit sur le visage. 

Les larmes dans les yeux, le sourire aux lèvres, le rire. “Je vais y arriver ? Je vais y arriver !”. Les poils qui se hérissent, les frissons et la voix dans les haut-parleurs qui transpercent mes écouteurs pour clamer mon prénom : “Lauréna Valette”. Mon prénom qui a longtemps été le dernier annoncé lorsque l’on devait constituer des équipes en cours de sport, aujourd’hui, il était crié devant des milliers de personnes. Je l’ai fait. J’ai traversé la ligne d’arrivée. J’ai couru mon premier semi-marathon. J’ai réussi. Je ne serai plus jamais nulle en sport. Je ne serai plus jamais celle qui est laissée pour compte en cours d’EPS. À tout jamais, je serai celle qui a couru le semi-marathon de Montréal en septembre 2024 aux côtés de ma mère. Et ce cadeau, je suis la seule et unique personne en mesure de me l’offrir. Et je ne cesserai jamais de le chérir - même si ce sport est vraiment insupportable.

Quelques jours plus tard, je discutais avec ma mère : “C’est fou, on n’aurait jamais pensé voir ça : moi qui cours un semi-marathon à tes côtés.”. Elle a acquiescé, parce que je sais bien que j’étais loin d’être quelqu’un en mesure de le faire. La route a été longue et surprenante. Mais finalement, ce qu’il me manquait jusque-là, c’est la volonté et les beaux humains avec lesquels m’entraîner.

21,1 km, 2 heures, 13 minutes et 33 secondes, le temps qu’il faut pour se conquérir soi-même. 

Merci pour ta lecture ! J’espère que tu as passé un bon moment.
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