Lauréna in Loveland

Un voyage à travers les relations et la vie d’adulte.

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Par Lauréna Valette
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Épisode 1 : L’épilation du SIF

J'ai 28 ans et 1 jour, et alors que je me rends à ma première épilation au laser, je tombe nez à nez avec l'homme qui a occupé mon esprit pendant de longues semaines. Ce n'est pas un épisode de série, et oui, ce jour-là, pendant que je me faisais brûler les poils du SIF, je me suis vraiment demandée pourquoi la vie se jouait encore de moi.

Dans ma vie, certains événements me semblent tout droit sortis d’un film, une bonne grosse comédie dans laquelle l’héroïne n’aurait aucun répit. Je me convaincs aussi qu’il s’agit de clins d’œil de la vie pour me rappeler de ne pas tout prendre au sérieux, qu’il y a, derrière certaines situations, une pointe d’ironie. Rien n’est trop sérieux, ni les relations, ni le quotidien et encore moins, un rendez-vous chez l’esthéticienne.

Un jour, une amie me raconte qu’elle a réservé sa première séance d’épilation au laser. Pour les non-familiers avec la pratique, il s’agit d’épilation définitive à l’aide d’une lumière pulsée. Bye bye les poils, bonjour la tranquillité. Elle m’explique que grâce à une publication sponsorisée sur Instagram, elle a fait la découverte de cet institut de beauté dans le centre de Montréal, où elle peut, pour moins de 100$, bénéficier d’une épilation définitive des aisselles et du maillot. “Tu te rends compte, c’est bien moins cher qu’en France”, s’exclame-t-elle.

Jusqu’à ce jour, je n’avais jamais réellement pensé à l’épilation définitive. Mes poils et moi, nous avons une relation pour le moins standard. Je ne les déteste pas, mais je ne les adore pas non plus. Simplement, je les tolère : quand ils sont courts, rares, bref, pas trop trop présents. Néanmoins, chochotte de la première heure, il est hors de question que je les épile à la cire. Les rares fois où j’ai donné l'opportunité à une spécialiste de le faire, je l'ai très rapidement regrettée. Pourtant, il faut croire que cet automne-là, j’étais curieuse de découvrir l’épilation au laser.

Alors que mon amie me raconte son premier rendez-vous dans cet institut, je réalise qu’elle m’a presque convaincue. Après tout, moi aussi, j'aimerais ne plus me prendre la tête avec le rasoir, les poils incarnés, et porter mes bikinis super rikiki sans réfléchir. Magie d’Instagram, j’aperçois la fameuse publication sponsorisée. Je prends ça pour un signe et quelques minutes plus tard, l’idée de pouvoir partir en voyage au bord de la mer sans penser à mon épilation gagne la bataille face à mon envie de ne pas dépenser de l’argent “inutilement”. J’écris pour prendre rendez-vous, la personne de l’institut me propose le 1ᵉʳ décembre à 14h30. Le lendemain de mon anniversaire. En voilà un cadeau étonnant pour célébrer son vingt-huitième anniversaire, que celui de se faire brûler les poils du maillot.  

"J’ai un rendez-vous professionnel"

Le jour-J, je travaille dans un café avec deux amies. Il fait étonnement bon à Montréal, l’hiver n’a pas encore débuté, alors j’en profite pour me déplacer à vélo, puisque bientôt, les rues seront couvertes de neige et je n’aurai plus aucune volonté pour pédaler. L’emplacement auquel je récupère habituellement mon vélo de ville est vide, après un rapide coup d’œil sur l’application, je découvre qu’il y en a à côté du parc, à quelques mètres. En prenant ma bicyclette ici, je n’emprunte pas le chemin habituel pour le centre-ville. Si ce changement n’a absolument aucun impact sur mon humeur ou ma destination, je suis loin de me douter de ce, ou devrais-je dire, celui, qui m’attend sur la route.

Je descends l’avenue, mon bonnet rose vissé sur la tête et je l’aperçois qui remonte la piste cyclable, face à moi. Dans ma tête, je m’écris : “mais non, ce n’est pas possible”. Sauf que dans ma vie, évidemment que ce genre d’événement est possible. Il s’agit là d’une bonne grosse comédie avec toujours des pointes d’ironie, je vous rappelle.

Cela fait quelques mois que nous ne nous sommes pas croisés. Cela fait quelques mois que je me demande si je vais le voir au détour d’une ruelle ou dans un bar et de ce que je vais faire, de ce que je vais lui dire. Le plus fou, c’est que je n’y pensais plus du tout. Quelques jours avant, j’étais en date avec un nouvel homme qui prenait alors toute la place dans mon esprit.

C’est ce crush pour lequel ton cœur s’emballe un peu trop. “Intense et rapide”, furent les mots associés à notre rencontre. “Je suis devenue zinzin, il a pris ses distances, je ne sais pas dans quel ordre, mais tout est parti à vau-l’eau”, voilà comment je présenterais l’histoire les quelques fois où j’en parlerais.

J’aurais pu l’apercevoir n’importe où. Le lundi de la même semaine, alors que je marchais dans les rues avec un grand brun au sourire éclatant. Le mois d’avant, dans ce bar dans lequel on avait fait notre premier date. Dans un café, sur l’avenue du Mont Royal, tandis que j’allais en soirée… Non. Il fallait que je le vois, quinze minutes avant de me retrouver nue comme un vers, face à Shaina et son pistolet laser.

Quand il me demande où je vais, je lui réponds nonchalamment que j’ai un rendez-vous professionnel. Je me souviens de son sourire “ah encore le travail ! J’espère que tu as réduit quand même”. Lors de notre histoire “intense et rapide” (un peu comme l’épilation au laser finalement), je travaillais trop, la journée, le soir, le week-end, toujours à écrire des articles. Ce job qui me colle à la peau, la vie de freelance que je ne voulais pas quitter. Après avoir manifesté mon retard, j’ai fui sur mon vélo à travers la ville, roulant entre les buildings et me demandant pourquoi la vie devait toujours se jouer de moi.

Sur la table, Shaina me demande si je veux qu’elle s’occupe de mon SIF. C’est notre premier rendez-vous, notre premier tête-à-tête et tout ce que l’on vit là, je l’expérimente. On s’apprivoise, elle ne connait pas encore mes préférences et je ne connais pas encore la sensation de la lumière pulsée qui vient dorer les bulbes de mon corps. Le SIF, pour ceux qui l’ignorent, est le diminutif de Sillon Inter-Fessier. Moi à ce moment-là, je suis toujours déboussolée. Je m’allonge sur le ventre, ma dignité doucement en train de quitter mon âme. 28 ans depuis moins de 24h, et je me repense à cette rencontre, à ce que j’aurais aimé dire. Je me questionne sur mes choix, tous mes choix, de cette histoire, à ce petit mensonge, en passant par ma volonté de voir mes poils disparaître par la magie de la lumière. Shaina m'invite à tenir mes fesses, une dans chaque main, vers l’extérieur, pour qu’elle puisse faire son job, et brûler le peu de dignité qu’il me reste.

Je suis nue, je tiens mon cul à pleine main, devant cette inconnue qui est en train de rôtir mes poils. Je me demande comment je me suis retrouvée là et pour masquer mon malaise, je ne trouve rien de mieux à faire, que de lui confier ce que j’ai vécu : “donc j’ai une histoire drôle, tu pourras la partager avec tes copines ou avec tes collègues ! En fait, j’étais à vélo pour venir et j’ai croisé le mec sur qui j’étais à fond il y a deux mois et on a arrêté de se parler du jour au lendemain et là, il était face à moi et je lui ai dit que j’avais un rendez-vous professionnel. Et en plus, hier, c'était mon anniversaire et il ne me l'a pas souhaité”.

Je me demande bien pourquoi je lui ai laissé un tips à la fin, cette histoire aurait dû lui suffire. En tout cas, Shaina a adoré. Elle m’a annoncé que c’était le destin, que rien n’arrivait pas hasard. Je sentais les picotements de la lumière dorer mon arrière-train, comme mon AirFryer se fait un plaisir de réchauffer mes frites, et je l’entendais répéter qu’avec cet homme, ce n’était pas terminé. Shaina a alors eu un aperçu très bref de notre histoire qui n’était qu’une rencontre au mauvais moment. Elle buvait mes paroles. Plus j’en parlais, plus elle en redemandait, toujours son sabre laser au combat contre les derniers follicules pileux de mon corps.

Le mois suivant, lors de notre deuxième rendez-vous, elle m’a demandé si je l’avais revu. Je sentais bien que ma dignité, elle n’en avait rien à carrer. Heureusement pour moi, elle a décidé de reprendre ses études d’infirmière et on m’a affecté Jessica.

Tous les mois ou presque, quand Jessica me recommande de tenir mes fesses, j’y repense. Je souris, je lui parle de la pluie et du beau temps (mais jamais de mes relations). Moi, au fond, je revisite à tout ça, les rencontres qui surviennent toujours au moment où tu t’y attends le moins. Je me questionne systématiquement, sur les raisons qui me poussent à être là, à mes poils et au picotement provoqué par la lumière pulsée. Dans ma tête, je m’amuse de ces choses que l’on s’impose : par envie de ne plus se prendre la tête avec un rasoir, par désir d’avoir la peau lisse, par conviction, qu’on sera contente de l’avoir fait. Et je pense à mon SIF, qui n’a vraiment rien demandé, et qui subit ça parce que “à payer, autant faire la totale”.

Des mois et des mois plus tard, j’ai revu le fameux crush “intense et rapide”. Je lui ai dit “tu te souviens quand on s’est croisé à vélo le lendemain de mon anniversaire ? Je t’ai menti quand je t’ai dit que j’allais à un rendez-vous pour le travail, j’allais me faire épiler en fait”. Et je crois que la dignité, elle revient très vite, quand on choisit de rire de tous les moments improbables que l’on vit. Chaque mois, je ris en passant la porte de l’institut. Je sors dans la rue et j’envoie un message à mon amie qui m’a recommandé ce lieu, pour lui dire : “Ça brûle les fesses !! Je suis un petit poulet grillé.”. Et aujourd'hui, j’en ris encore plus, en réalisant que je suis sur le point de publier une newsletter sur le sujet. 

Vive les poils, que vous choisissiez ou non de les garder.

Signé, le petit poulet grillé qui n’a décidément pas peur du ridicule.

Merci pour ta lecture ! J’espère que tu as passé un bon moment.
Si ces mots t’ont plu, partage-les avec tes amis, tes dates, tes collègues, qui tu veux !
On se retrouve sur Instagram.