Vava et ses histoires

Des histoires sur l'amour et la vie, que je pourrais te raconter autour d'une bière.

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Par Lauréna Valette
16 avr. · 5 mn à lire
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Montréal #1 : pourquoi tout le monde s’arrête au passage piéton ?

ou le premier épisode d'un carnet de bord dédié à mon expatriation à Montréal.

Lorsque je suis partie vivre ma best life à Bali en septembre, j’ai publié par ici quatre épisodes qui retraçaient ma première aventure à l’autre bout du monde, toute seule. J’ai adoré l’exercice, ce mélange d’introspection, de pensées et de souvenirs. J’ai reçu beaucoup de messages lors de la publication de ces newsletters, alors pourquoi ne pas recommencer ? 

Le 14 mars, commençait mon expatriation. Voilà un mois que je suis à Montréal et je me suis demandée comment partager tout ça. Je sais qu’autour de moi, certains se questionnent "comment c’est ?", d’autres ont besoin de lire qu’ils ne sont pas seuls et d’autres encore, ont envie au fond d’eux de passer le cap, mais n’osent pas. Alors, nous y voilà, je vais tenter d'éditer un carnet de bord, comme un bilan de mon expatriation au fil des mois. Un souvenir pour moi, des nouvelles pour des proches et des courtes histoires pour ceux qui voudront bien les lire. 

Voilà un mois que je suis à Montréal. Un mois que j’ai quitté mon pays adoré, juste avant que ne se déclenche ce que j’appelle en riant jaune "la révolution". Mon père m’a dit "tu es partie à temps, je suis rassurée de ne pas te savoir à Paris". Sur mon téléphone, je défile les stories Instagram de mes contacts. Ma capitale adorée, mes rues préférées, à feu et à sang. Des poubelles jonchent les rues sur les photos, les influenceuses en jouent, moi-même quelques jours avant, au début de la grève, j’ai tenté la photo "Emily in Paris version poubelles". Si Emily était de gauche, avais-je commenté, avant de vite supprimer, me disant que ce n’était pas si drôle. Je vois les images des manifestations et je pense "Si j’étais là, je serais avec eux en train de manifester". Au lieu de ça, je publie une story Instagram de mon ordinateur au café "recherche mari riche parce que je n'aurais pas de retraite". Toujours des blagues. Mais c’est vrai, je n’aurai pas de retraite. 

Si j’étais là. Je ne le suis pas, mais je sais qu’en réalité, j'aurais trouvé une excuse pour ne pas aller manifester : je n’aime pas la foule, on ne sait jamais, il pleut, j’ai peur, j’ai du travail. Ma mère est allée manifester, elle. Moi, j'ai regardé les informations, en me sentant si loin. Si éloignée de la France, de ce qu’il se passe, de mes proches. Et en même temps, c'est le cas. 

Une fois l’excitation des deux premiers jours passée, j’ai sombré dans un questionnement perpétuel. Durant dix jours, je me suis réveillée chaque matin en me demandant pourquoi j’étais là. Vraiment. Il faisait froid (à quoi tu t’attendais ma bonne-dame, tu es au Canada), je me sentais seule, mes amies étaient occupées et ne répondaient pas forcément à mes messages, j’avais encore un peu le cœur en miettes et je ne comprenais pas le sens de tout ça. Comme s’il devait y en avoir un. J’ai même pensé pendant quelques minutes que tout ceci était une énorme erreur

Et puis non. C’est ce que je me suis écriée. Non, je ne vais pas rester là, à me demander si oui ou non, j'ai bien fait de quitter la capitale. Évidemment que j’ai bien fait. Non pas parce que la révolution est en cours, mais parce que c’est ce que je voulais : partir. Je suis revenue à l’origine de tout ça, pourquoi est-ce que j’ai pris cette décision ? Qu’est-ce que je voulais au juste ? Je voulais ma liberté, travailler à mon rythme et choisir le lieu où je désire être. Je ne voulais pas copier-coller ma vie dans un autre territoire, reprendre une routine, me rendre dans un bureau tous les jours, vivre une vie rythmée comme je l’ai fait pendant six ans. Non, je voulais voir le monde, rencontrer des gens, me sentir vivante. Alors c’est ce que je vais faire. 

Je me suis donc poussée un petit peu et je suis sortie. Dehors, mais aussi de ma zone de confort. Note à ceux qui envisagent de faire un PVT, il existe de nombreux groupes Facebook de personnes qui font comme vous. Qui partent seul ou en couple. Très tôt cette année, j'ai rejoint une conversation messenger composée de Français qui arrivaient à Montréal entre mars et avril, comme moi. Une conversation forum où on se pose trente fois les mêmes questions sur les banques, où on s’échange les bons plans pour acheter du fromage moins cher et surtout, où on s’entraide. Des membres de cette conversation organisaient un apéro. J’ai invoqué la nana qui est capable de tout, celle qui se cache en moi lorsque l’enfant pas sûre d’elle prend le cap sur ma personnalité, et j’y suis allée

Et c’est comme ça, que l’humeur est passée, de rien ne va, à tout ira bien

Quand j’ai voyagé à Bali, j’ai été ébahi face à ma capacité à parler aux gens, en anglais qui plus est, sans inquiétude. J’ai grandi dans la timidité, à chaque fois que je fais preuve de confiance en moi, je me donne un high five mental et ici, c’est monnaie courante. C’est ce que j’aime le plus, je crois, dans le fait de voyager seule : rencontrer du monde. 

Tout à coup, parler à des inconnus devient normal. Se faire de nouveaux copains toutes les semaines, engager la conversation avec la barista du café, échanger quelques phrases avec sa voisine de table. Le contact humain apparaît comme la seule solution, pour enlever le voile de l'anxiété liée à la nouveauté et vivre une belle expérience. Alors, je me suis mise à parler, à faire des blagues, à raconter mon histoire, comment je suis arrivée là, et tout naturellement, les journées se sont teintées de nouvelles couleurs. 

Ce passage à vide a aussi été l’occasion pour moi de m’asseoir confortablement et de réfléchir à comment je voulais vivre ma vie, maintenant à l’instant T. C’est vertigineux, la liberté. C’est une chance, un privilège, je ne m’en plaindrai pas, mais quand tu as toujours suivi un modèle bien précis, suivi un chemin tout bien tracé : études, CDI, vie de couple, et que tout à coup, tout bascule, le choix des possibles fait garder les yeux ouverts la nuit. Pour la première fois de ma vie, je suis maître d’absolument tout : mon temps, mon espace, mes envies. Je peux partir n’importe où, pour déposer mes bagages comme pour vadrouiller, puisque mon travail peut se faire d'où je veux. Cette possibilité-là est absolument excitante, mais tellement terrifiante. 

C’est aussi la première fois que je passe autant de temps loin de la France. On n’a pas bonne réputation, nous les Français, globalement les étrangers ne nous trouvent pas sympathiques. Et quand tu ajoutes que tu as vécu à Paris, c’est pire. Il faut dire qu’on sait se faire remarquer. Une des premières choses qui m'a le plus surpris au Québec, c'est la gentillesse de tout le monde. Partout, on te lance un "Salut, tu vas bien ?", on te sourit, on est aimable. C'est fou, d'arriver à 27 ans et d'être étonnée que les gens soient gentils. Qu'est-ce que cela veut bien dire de moi, de Paris, de mon quotidien jusqu'à maintenant ? 

Autre habitude que les Québécois ont et qui me parait surréaliste : l'attente au passage piéton. Lorsque la rue est vide, qu'il n'y a aucune voiture en approche, mais que le feu piéton est rouge, tout le monde le respecte et attend. J'arrive avec mes gros sabots, je peste que c’est trop long et je traverse au rouge. Une fois, deux fois, toujours. Je n’y peux rien, mon cerveau est programmé pour optimiser mon temps : je dois agir vite, je ne peux pas attendre, ni le feu au passage piéton, ni le métro, ni qui que ce soit. Alors, j'y vais. Mais pourquoi ? Pourquoi cette incapacité à attendre, à prendre le temps, même quand je n’ai rien à faire de particulier, aucun rendez-vous. J’y pense systématiquement et je trouve les secondes qui séparent les deux couleurs si longues. J’ai arrêté de courir après le métro, et lorsqu’il me passe sous le nez, je râle en voyant que le prochain est dans sept minutes “à Paris, il y en a plus quand même”. Peut-être qu’au bout de deux mois, j’arrêterais de comparer tout avec la capitale, mais pas pour le moment.

La comparaison est facile. On le fait tous. “On”, c’est tous les expats avec qui j’ai discuté de ça. C’est ainsi, on ne peut pas s’empêcher de chercher le familier à l’étranger. Je crois que c’est un processus naturel du cerveau pour se rassurer, un signal qui envoie un message pour signifier que tout va bien, que c'est un peu comme à la maison. Pourtant, les différences sont frappantes : les longues rues interminables, les bâtiments bas, la gentillesse omniprésente, la végétation, les rayons remplis de paquets de céréales à perte de vue… et j’en passe. Ça n’a rien à voir. Ça demande du temps, de s’habituer à la nouveauté, de prendre ses marques. Nombreux sont ceux qui m’ont dit trois mois. Trois mois pour se sentir chez soi, cesser de se demander si c’est une bonne idée, trouver son rythme, ça me semble long.

Pour ma part, je n'ai aucune idée des prochains mois. Est-ce que j'aurais besoin de trois mois, est-ce qu'un jour, je me sentirai chez moi ici, est-ce que je le désire ? Peut-être que Montréal ne sera qu'une étape, une maison secondaire, un lieu rassurant. Je ne me visualise pas dans ces rues indéfiniment, mais après tout, au bout d'un mois, c'est certainement trop se demander à soi-même que d'essayer de se projeter pour toujours.

Ce que je sais, c’est que chaque nouvelle semaine opère un changement mental. Doucement, mais sûrement, les nerfs se détendent, le calme revient, les jours paraissent plus évidents. Cela demande de prendre ses marques, trouver son café favori, prévoir des sorties, organiser des verres avec des nouveaux copains, et petit à petit, enlever le filtre de l’ancienne vie, pour regarder le paysage avec de nouveaux verres : les yeux d’un nouveau quotidien. 

Et puis, il y a le retour des beaux jours aussi. Comme si Montréal se remettait à respirer. Jeudi 13 avril, une semaine après la tempête de pluie verglaçante qui a coupé l’électricité d'une grande partie de la ville, un soleil d’été. 26 degrés, les bras dénudés, les sourires aux lèvres de chaque passant. Assise face à la fenêtre de mon café de quartier, je travaille en buvant un latte glacé. À l’extérieur, la vie reprend. Les vélos en libre-service sont installés, les terrasses de sortie et les rues se arborent des airs de fête : c’est donc ça qu’ils voulaient tous dire, quand ils annonçaient “tu vas voir, l’été, c'est incroyable”. La neige dans les parcs est remplacée par des couvertures de pique-nique, je sors mon meilleur crop top rose fuchsia pour aller boire une bière et je souris, face à ce spectacle estival : un mois, une montagne russe d’émotions et la certitude, que ça vaut le coup. 

Malgré les insomnies, les questionnements, les doigts tout froids quand il neigeait il y a encore trois semaines, la conviction que comme le retour de la chaleur un 14 avril, il suffit de garder les yeux grands ouverts, de très belles choses peuvent surgir lorsqu’on s’y attend le moins. 

Bisous,
Lauréna


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