J'ai daté un mec qui veut être président

ou l'histoire du Premier ministre qui m'a demandé un chausse-pieds.

Lauréna in Loveland
10 min ⋅ 05/02/2023

Toutes les rencontres ne donnent pas de belles et drôles histoires à raconter. Il n’y a pas toujours des tiramisus dégustés dans un bois, une fuite urinaire qui mène malgré tout à une nuit torride ou des dates ultra-romantiques aux quatre coins de Paris. Pourtant, j’ai choisi de tirer de toutes mes rencontres, de tous mes dates, des petites anecdotes, le plus souvent amusantes et surtout, des petites leçons personnelles auxquelles repenser encore et encore. 

Récemment, j’ai vu sur le compte Instagram de la version anglaise du magazine Stylist un post sur l’Anecdating. Le média donnait la définition de ce nouveau terme :

Enjoying the process of dating event when it doesn’t go as planned, because you’ll have a great story to entertain your friends down the pub. (Profitez du processus du dating même si ça ne suit pas le plan, parce que tu auras une bonne histoire pour divertir tes ami.e.s au bar.).

Cela ferait une très bonne description de ma newsletter. 

Il y a cette histoire dont je voulais parler ici, puisqu'elle me fait rire, je la raconte souvent autour d'un verre quand on se met à mentionner le dating, les moments un peu gênants, quand quelqu'un se plaint de ses rencontres… Je l’ai d’ailleurs narré à mon précédent crush avant même de le fréquenter, sans savoir que ça allait devenir un running gag. C’est mon running gag : j’ai daté un Premier ministre

Ok, ce n’était pas réellement un Premier ministre. Mais presque.

En septembre 2021, je viens de mettre un terme à une amourette d’été d’un peu plus d’un mois, et je retourne passer mes dimanches soir à swiper, sans grande conviction, juste pour voir les heures qui me séparent du sommeil profond défiler. Je tombe sur le profil d’un homme châtain, en costume. Ses photos n’ont rien de celles du commun des mortels : aucun selfie dans un miroir, aucune photo en soirée avec ses amis, il n’a pas un verre à la main, aucun chien, pas de bateau et encore moins de traction à la salle de sport. C’est un shooting assez professionnel, et le mec porte un costume. TOUT laisse à penser que c’est une mauvaise idée de swiper à droite, et plus particulièrement sa bio qui indique “conseiller politique au gouvernement”. Mon être entier, mes convictions, mon entourage, tout crie “GAUCHE” et pourtant, dans un esprit de compétition, avec cette volonté de toujours me mettre dans des situations plus incongrues les unes que les autres, j’ai voté à droite. J’ai balayé mon index sur cet écran, direction Matignon, direction le conseiller politique. 

It’s a match. Ni une ni deux, Mini-Macron commence à me parler, il enregistre très rapidement des vocaux. Il a des anecdotes assez étonnantes sur ses années lycée, il a l’air moins arrogant que ce que son profil laisse à penser. On discute plusieurs heures au creux de la nuit entre cette fin de week-end et le lundi qui signera le début d’une nouvelle semaine pleine d’aventures. Mon prétendant bleu-blanc-rouge me propose très rapidement de se voir dans les prochains jours. J’hésite. Je ne sais pas trop, est-ce que j’ai réellement envie de dater quelqu’un qui vient de m’indiquer dans un vocal que son rêve, c'est de devenir le président de la République. “Non mais je ne rigole pas, je veux vraiment devenir le Président”, ajoutera-t-il. 

Le lundi, notre conversation continue, il m’envoie des photos de lui, “il a quand même un joli sourire, il a l’air beau, ça se tente”, pensais-je. Le mardi, alors qu’il pleuviote, je choisis de passer ma soirée avec monsieur le futur Président, plutôt que de rester dans mon canapé à regarder Koh Lanta. C’était la saison où Alexandra s’apprêtait à devenir la grande gagnante même si elle avait souffert d’une extinction de voix dès le début de l’émission et qu’elle était vite devenue le bizut. “Tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n'abandonne jamais”, parait-il. 

Je m’apprête donc à aller à un rendez-vous galant avec un homme qui travaille main dans la main avec Gabriel Atal. La grande question se pose : comment est-ce que je vais m’habiller ? Hors de question de jouer la petite pépette du 16e arrondissement, je suis une bobo en basket 95 % du temps, je ne vais pas endosser un rôle pour séduire un homme du gouvernement. Tu m’aimes telle que je suis ou tu me quittes, un point c’est tout (enfin, là, je n’en demandais pas autant.). J’opte pour un débardeur noir qui laisse entrevoir mes clavicules, ma veste léopard et une paire de vans classique. 

Quand j’arrive au bar, il ne se lève pas pour me saluer. C’est mauvais signe, je réaliserai quelques heures plus tard que c’était sa façon à lui de masquer le fait qu’il est plus petit que moi. Pourtant, ça m’arrive, très souvent, et spoiler alert : un mec qui est ok avec le fait d'être plus petit que la fille qu’il date, c’est sexy.

Mon seul et unique date avec un homme du gouvernement, a donc été catastrophique. J’ai hésité à partir plusieurs fois. Au bout de vingt minutes, je me suis exclamée : “mais enfin, j’ai préféré venir passer la soirée avec toi plutôt que de regarder Koh Lanta et franchement, je commence déjà à regretter”. Dès les cinq premières minutes, notre bière à peine posée sur la table, il n’avait rien trouvé de mieux que de critiquer mon emploi, jugeant qu’écrire pour la presse féminine, ce n’était pas assez bien. Il avait trouvé son jeu : me voir sortir de mes gonds. Son objectif était de découvrir si j’avais du répondant, comment je réagissais face à l’attaque. 

Entre quelques anecdotes de vie et quelques blagues, toujours cette fourche tendue pour découvrir mes réactions. Mon emploi n’a pas été sa seule source de bagarre : le féminisme, le gouvernement et Darmanin. Ô rage ! Ô désespoir ! Qu’ai-je donc fait pour me retrouver dans une telle situation : l’anecdating

Si au moins, il était aussi charmant que ses photos le laissaient entendre, cela aurait pu avoir du sens. Tout pour le physique, la beauté, les paillettes (non). Mais même pas, notre cher Premier ministre avait usé des charmes d’un bon photographe et des logiciels de retouche. Il n’était pas horrible, non non, mais il ne ressemblait pas au mannequin que Tinder m’avait proposé un dimanche soir à 23h. Lui-même m’a posé la question : “tu trouves que je ressemble à mes photos ? Parce que toi oui, tu ressembles aux tiennes”. Bien sûr, Jean-Mich, je ne suis pas là pour vendre une Ferrari si je ressemble à une Twingo ! Mais enfin. 

Pourquoi est-ce que je suis restée ? On m’interroge régulièrement, d'ailleurs, moi-même, je me questionne toujours. Je ne sais pas, j’ai hésité, j’ai tergiversé, et puis finalement, j’ai voulu aller jusqu’au bout, pour l’anecdote. J’ai donc enchaîné quelques verres, histoire d’oublier mes principes, mes valeurs, et de tenter de voir où la nuit avec un homme qui ne partage aucunement mes valeurs morales et politiques, pouvait m’amener (la réponse : pas très loin).  

Il a voulu me raccompagner jusqu’à chez moi, moove qui peut s’avérer être une très bonne porte d’entrée. Devant ma porte, justement, il m’a embrassé. Et encore là, j’aurais pu savoir que, meh, non, je devrais vite aller rejoindre les bras de Morphée et non pas ceux d'un homme bleu-blanc-rouge. Pourtant, je crois que j’avais envie de sauver une brebis égarée ce soir-là, car malgré son jugement sur mon emploi, sa passion pour Darmanin, son look de premier de la classe qui collectionne les mouchoirs de Macron, je l’ai invité à monter. 

Le reste, ma foi, ne mérite même pas d’être mentionné. Le lendemain matin, le pote de Gabriel Atal n’a pas souhaité partir avant moi, mais bien qu’on prenne le métro ensemble. Oui, autant vivre cet épisode catastrophique jusqu’à la dernière seconde, en voilà une bonne idée. Au moment d’enfiler ses chaussures, il me demande : “est-ce que tu as un chausse-pieds ?”. La sentence est irrévocable : c’est officiel, je suis allée trop loin. Trop loin pour l’anecdote, cette blague a trop duré.

Il était on ne peut plus sérieux et je crois avoir touché son ego de mâle-alpha-blanc-cis-hétérosexuel-de-droite, quand je lui ai répondu en ricanant que non, je n’avais pas de chausse-pieds puisque je ne porte que des Vans ou presque. Quand il a vu mes chaussures damiers, il a tenté un dernier coup, une dernière remarque pour appuyer sa supériorité : “Ah, c’est pour jouer aux dames avec tes collègues ?”. Je n’ai même pas souri face à sa blague, il en était trop, arrachez le pansement, enlevez-moi cet homme de ma rame de métro, je n’ai plus aucune force. 

Quelques stations plus tard, il est descendu. Ma délivrance avait enfin sonné, j’ai quand même osé écrire à ma meilleure amie “c’était sympa”. Douce, naïve, gentille Vava de septembre 2021, tu mérites au moins de l’honnêteté envers toi-même. 

Un soir d’automne, je raconterai cette histoire à une copine, comment le mec a ensuite voulu me revoir alors qu’il était impossible qu’il ait passé un agréable moment. Sur le chemin de vie que nous avons parcouru ensemble ce soir-là, les bas-côtés étaient remplis de panneaux indiquant qu’il n’y avait aucune alchimie, aucun point commun, aucune raison de remettre le couvert. J'explique qu'il m’a unfollow d’Instagram, car j’avais regardé ses stories avant de répondre à ses messages. J’avais alors touché une nouvelle fois son fragile ego, puisqu’il m’avait envoyé un message expliquant que si je ne voulais pas le revoir, il me suffisait de lui dire. 

Je cherche donc la conversation pour montrer la tête du futur président de la République et là, je ne comprends pas trop. J’interroge ma copine pour savoir si elle a des problèmes sur Instagram. "Je ne comprends pas trop, la conversation s'affiche bizarrement". Voilà que nous avions parlé plusieurs jours sur l’application, s'échangeant des photos, des vocaux, des messages qui partageaient des éléments de nos vies. Pourtant, sur mon écran, il ne restait que les bulles grises qui indiquaient que j’avais écrit quelque chose. Des dizaines et des dizaines de bulles grises planaient sur la droite de l’écran, sans aucune réponse. Je parlais seule. Je me répondais à moi-même. Mini-Macron avait supprimé un à un, tous ses messages. Il avait dû passer une heure, à effacer toutes les informations qu’il avait communiquées à une fille qu’il avait vu un mardi soir de septembre dans Paris. Qui fait ça ? 

Plus d’un an plus tard, j’ai arrêté de dater des hommes de droite anti-féministe et pro-Darmanin. J’essaie de sélectionner mes rencontres avec un petit peu plus de jugeote et d’amour-propre. Et surtout, je réfléchis à deux fois avant d’inviter un homme dans mon lit, il ne faudrait pas que les opinions politiques soient contagieuses

Durant l’automne, mes parents sont chez moi, on décide de sortir déjeuner. À quelques mètres de mon appartement, je lève la tête et qui vois-je sur le trottoir d’en face, attendant pour traverser au passage piéton ? Le Premier ministre. Il n’a pas changé d’un poil, toujours le même visage arrogant, toujours cette coupe de cheveux qui a attiré mon œil sur les photos Tinder. Moi, je rentre de deux semaines et demi de voyages en solo à Bali, je m’apprête à quitter le pays pour partir vivre à Montréal, je fréquente depuis quelques mois un homme gentil, compatissant et déconstruit. Le feu passe au vert, je m’avance sur ce passage piéton et je m’imagine dans un clip de Beyoncé, faisant vaciller mes cheveux de droite à gauche, alors qu’il n’y a aucune brise. Je marche droite (mais le cœur à gauche), fière, je me sens belle. Je ne suis pas juste la meuf qui a daté un mec pas sympa qui veut devenir président, je suis beaucoup plus que ça. 

Cette anecdote continue de faire rire mes ami.e.s qui s'exclament toujours “mais enfin Lauréna”. Elle me rappelle surtout que j’ai dorénavant assez d’amour à m’apporter toute seule. Je m'aime suffisamment, et je n'ai plus besoin d’aller chercher de l’affection chez le premier tocard trouvé. 

Bisous,
Lauréna


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Lauréna in Loveland

Lauréna in Loveland

Par Lauréna Valette

Journaliste, autrice de “Il était une fois l’amour” à paraître le 15 novembre 2024 aux Éditions Mango, professeure de yoga sur mon temps libre, voyageuse… Je ne tiens pas en place et j’ai constamment une nouvelle idée en tête. Ici, je publie mes écrits sur l’amour et la vie.

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