ou l'histoire du date Tinder qui m'a préparé un tiramisu.
Ce n'est pas l'original, mais ce tiramisu coquin traînait dans mon téléphone.
"Mais je te comprends Vava, t’as pas été habitué aux belles attentions, donc forcément, ça te fait paniquer", c’est ce que m’a dit une amie, quand je lui ai raconté l’histoire du tiramisu. Ah ! L’histoire du tiramisu, encore une anecdote de date que j'adore partager autour d'une bière. Je ne pensais pas en parler ici, parce que je n'avais pas réellement trouvé l'intérêt, si ce n'est partager un souvenir d'une après-midi de printemps. En réfléchissant à ce que je voulais conter cette semaine, j'ai réalisé que ce petit événement, était l’illustration même d’une grande blessure. De ce fait, je vais te la confier, en espérant qu'elle te fasse sourire. Installe-toi bien confortablement dans le wagon du passé, direction le printemps 2021 et le dating post confinement.
2021 était un peu mon année des applications de rencontres. Pendant plusieurs semaines, je swippais tous les soirs avant de supprimer les applications pendant un mois. Puis un soir de désespoir, je les réinstallais toutes. Oui, pourquoi choisir quand on peut avoir Bumble, Tinder, OkCupid et Hinge ? Le choix de la reine. Enfin, non, c’est faux, puisque spoiler alert : tu finis par croiser les mêmes mecs sur chaque appli. Ceux à qui tu n’as pas répondu sur la première, tu re-matchs avec sur la deuxième et ils ne manquent pas de te signaler, que tu les as ghostés (oui, ceci est une histoire vraie).
Me voilà donc un soir du mois de mars ou avril 2021, quelque chose comme ça. Je tombe sur un charmant jeune homme d’à peu près mon âge. Sur ces quelques photos, je le découvre, brun, une guitare à la main, le regard vers le bas. Il a l’air doux, avec un petit côté poète torturé. Musicien comme j’aime, mais sur son profil, il n’affiche pas l’arrogance ou la confiance de celui qui serait sur le devant de la scène. Et il fait de la photographie argentique. Le cliché du bobo que j’adore, je swipe sans hésiter et match il y a. Je ne saurai plus te narrer de quoi nous avons parlé. C’est tout le désagrément des applications, dans la mémoire, tout se mélange. On s’échange des "bonjour, ça va ?", "tu fais quoi dans la vie ?", "ah toi aussi, tu étais à tel festival ?", "c’est quoi ton dessert préféré ?", "on va boire un verre ?". Et plusieurs mois passent, sans que tu te rappelles quel homme habitait dans le 18e, adorait The Office et travaillait dans une start-up (oh wait, 80 % des utilisateurs de Bumble ?).
Si les échanges de messages sur l’application ont été oubliés, tout comme les SMS, je me souviens très bien de nos dates. Toujours en période de couvre-feu et de bars fermés, on décide de se retrouver un dimanche après-midi dans le bois de Vincennes. C’est le printemps, les belles journées font leur grand retour, je ne m’attends à rien, mais j’ai espoir de passer un moment agréable. Je me rends à vélo jusqu’au bois, lunettes de soleil sur le nez et grand sourire. Après tout, le troisième confinement est terminé, la vie reprend peu à peu et j’ai un date. Ça ne peut être qu'un bon dimanche.
On se rejoint à l'entrée et on pédale chacun sur son deux-roues, à la recherche d’un coin sympa où s’installer. On finit par s’asseoir au pied d’un grand arbre, face à nous, un homme torse-nu fait du yoga. Ça nous fait rire. Vraiment les Parisiens, tu leurs donnes un petit peu de soleil et tout part à vau-l’eau (je vous aime les Parisiens).
Débute alors la petite gêne du début d’un date qui se déroule en plein milieu de la journée et sans alcool, entre deux personnes qui, vraisemblablement, sont un petit peu timides. J’ai découvert durant mon exploration Tinder-Bumble&co, que quand j’étais face à une personne timide, je l’étais tout de suite beaucoup moins. Et vas-y qu’elle fait des blagues, qu'elle raconte ses pires histoires, tout pour détendre l’atmosphère. Je crois que c’est ce que j’ai fait. J’ai dû parler d’astrologie, de mon confinement avec mon ex et je me souviens qu’on a trouvé comme point commun le Cap d’Agde. Non, on ne se rendait pas tous les deux dans le camp naturiste, mais il avait de la famille là-bas et avait donc déjà mis les pieds à l’Amnésia. Moi, en bonne sudiste que je suis (#team34), j’ai évidemment ambiancé le dancefloor de la kitsch, et même de la soirée mousse de l’Amnésia. Cette boîte de nuit du sud n’est pas le sujet, mais si tu la connais, je suis contente d'avoir ouvert la porte de tes souvenirs.
Notre date se passe, on se découvre de nombreux points communs, la conversation est fluide et puis tout à coup, il attrape son sac. Il a l’air un peu mal à l’aise, beaucoup moins que moi durant les minutes qui vont suivre. Il m'annonce alors, un peu hésitant "euh, j’ai une surprise". À ce moment-là, je m’imagine tout : "que va-t-il sortir de son sac ? Non, pas une bague, s’il vous plait pas une demande en mariage en public de la part d’un inconnu. Tout, mais pas ça.". Non, bien sûr que non, nous ne sommes pas dans un épisode des Marseillais au bois de Vincennes. Le charmant garçon musicien-photographe ne peut décemment pas faire ça. Par contre, il peut sortir deux Tupperwares.
Là, tu te dis "Hein ?", et je comprends ton étonnement. Oui, il sort de son sac à dos, deux tupp avec deux cuillères. Et il me révèle, tout sourire : "comme tu m’as écrit que ton dessert préféré, c’est le tiramisu, je t’en ai fait un hier soir.".
Oh. Mon. Dieu.
Le mec m’a fait un tiramisu.
Mon date Tinder m’a fait un tiramisu.
Un homme. Cet homme. Je n’ai pas encore décidé si je voulais ou non, coucher avec, et il m’a fait un tiramisu.
Voilà ce qu’il se joue dans ma tête. Évidemment, je n’allais pas lui dire que les bonhommes qui vivent là-dedans se sont tous alarmés. Qu’ils ont commencé à courir en cercle, en cherchant un moyen de fuir. Je suis dans un parc, je peux enfourcher le vélo et partir loin, très loin. Mais non, aucun adulte ne fait ça. Je ne vais pas fuir, car un homme, a eu la gentillesse, de préparer mon dessert préféré. Juste. Pour. Me. Faire. Plaisir. À moi ? Mais comment réagir ?
Il ne saura jamais la panique qui se joue dans mon esprit. Je le regarde, mi-gênée, mi-contente, et je le remercie. "Ohlala merci, il ne fallait pas, mais quelle idée, ça a dû te prendre du temps, c’est beaucoup trop chou, vraiment, waouh.".
Petit aparté. En racontant cette histoire, plusieurs amies, avec un regard troublé, me lanceront à différentes reprises : "t’imagines, il aurait pu t'empoisonner". Et elles le penseront sincèrement. Oui, en tant que femme, aucun geste de la part des hommes n'apparaît anodin. Un verre offert dans un bar, un tiramisu dans un parc, la proposition de nous raccompagner après une soirée... Nombreuses de nous y voient ici un risque.
Moi, le tiramisu, je l’ai mangé sans m’inquiéter. Je n'ai pas réellement pris le temps de réfléchir si oui ou non, mon date aurait pu glisser, je ne sais quoi entre les boudoirs et le mascarpone. J'étais trop occupée à être extrêmement gênée, mal à l'aise, parce que je ne sais pas recevoir de gestes affectifs de la part d’un homme.
L’après-midi est passée, on s’est quitté devant le bois de Vincennes avant le couvre-feu, je suis rentrée à vélo jusqu’à chez moi et j’ai appelé en visio mes meilleures amies,"Vous ne devinerez jamais quoi". Elles ont ri, mais elles ont ri. Il est vrai que c’est assez improbable, inattendu, d’avoir un homme qui cuisine un dessert, qui l’apporte dans un Tupperware, pour un premier date Tinder. C'était l’unique fois où quelqu’un a fait ça d’ailleurs.
Avec Monsieur Tiramisu, nous sommes-nous revus ? A-t-on flirté ? Est-il devenu un personnage dans cette vie qui me surprend toujours ? Ça ne regarde que lui et moi. Mais avec son tiramisu maison, il a appuyé sur une petite plaie bien ouverte, bien cachée. Une petite boite rangée au fin fond de la bibliothèque des boîtes mentales que je n’ouvre pas trop : un jour, j'ai mis dans ma petite tête que je ne méritais pas beaucoup de la part des hommes que je fréquente. Donc quand ils donnent plus que le minimum, je ne sais pas comment réagir.
J’ai levé les yeux au ciel quand j’ai réalisé ça, et puis, tout un tas de constellations se sont éclairées dans ma tête : les blessures jamais soignées, elles rendent des petites actions toutes simples, difficiles à accepter. Ce sont la faute de toutes ces valises qui n’ont jamais été portées à coup de "débrouille-toi", de tous ces restaurants qui n’étaient pas assez bien, de ces soirées à préférer jouer aux jeux vidéos plutôt que de discuter/s'intéresser, de tous ces "non mais vas-y toute seule, j’ai la flemme de voir ton ami/ton cousin/tes parents", des "ton plat n’est pas très bon" et autres petites phrases, petites actions ou non-actions, qui ont peu à peu, creuser le trou du "tu ne mérites peut-être pas grand-chose en fin de compte. Si lui qui est censé t’aimer, ne te le montre pas réellement, peut-être que tu ne vaux pas beaucoup.". Pourtant, au fond, tout au fond de moi, je suis sûre, que je mérite l'amour, les grands gestes et les petites preuves d'affection ?
Voilà comment un tiramisu cuisiné par un date Tinder, a mis en lumière des petites blessures oubliées, masquées, volontairement.
Aujourd’hui, j’accepte un petit peu plus facilement les marques d’affection, les gestes gentils. Je suis toujours un peu mal à l’aise quand un homme que j’aime bien m’offre un cadeau ou me laisse choisir le resto, l’activité du date ou quoi que ce soit, parce que ça lui fait sincèrement plaisir. Quelques fois, je retombe dans mes vieux démons et j’ai la sensation de ne pas être suffisamment appréciable pour la personne en face, que si je ne fais pas exactement ce qu’elle veut, si je ne suis pas son rythme, elle va se rendre compte que finalement, bof, pas si ouf la Lauréna. Et puis quand c’est le cas, je mange un tiramisu, je repense à ce brun à vélo, qui a passé du temps un samedi soir, pour préparer un dessert pour une fille qu’il ne connaissait pas. Tu penseras peut-être qu’il l’a fait simplement pour me ramener dans son lit, mais je reste persuadée que c’était juste, purement, pour me faire plaisir. Parce qu’il s’est dit "elle est chouette, je l’aime bien, j’ai envie de lui faire plaisir.".
Et j’essaie de ne pas oublier que oui, c’est comme ça que c’est censé fonctionner.
On mérite tous et toutes des tiramisus pour réparer les blessures de nos anciennes relations.
Bisous,
Lauréna
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