Lauréna in Loveland

Un voyage à travers les relations et la vie d’adulte.

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Par Lauréna Valette
17 mai · 7 mn à lire
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"Bienvenue sur Hinge !"

Ou comment je pourrais donner une nouvelle chance aux applications de rencontre (enfin, seulement si j'avais le temps).

Sur mon téléphone, plusieurs applications de rencontre se sont toujours tirées dans les pattes. On retrouve l’indémodable Tinder, mon très cher Bumble et puis Hinge. Il fut un temps où je téléchargeais aussi OkCupid, pour recevoir des déclarations endiablées de parfaits inconnus – ou des “Hey ! Ça va ?” – mais j’essaie de limiter le nombre de données partagées avec les géants de la tech. Trois applications sur un même téléphone, cela peut paraître beaucoup, me direz-vous ? J’en conçois et je vous l’accorde. Fun fact, je vois régulièrement les mêmes profils sur ces trois app, connaissant ainsi très bien le visage de tous les célibataires du quartier – car non, il n’est pas question de quitter le périmètre, j’observe les participants maximum à 2 km à la ronde, jamais plus. Il m’arrive alors de traverser au feu rouge et de croiser le regard d’un homme, swiper quelques jours plus tôt. Véritable malédiction que cette mémoire visuelle qui retient mieux le sourire des hommes que le code de ma carte de crédit, je suis en mesure de me rappeler certaines personnes entraperçues en quelques secondes, avant de déplacer mon index vers la gauche ou vers la droite, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Je swipe plus vite que je ne passe commande sur UberEats, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup. 

J’ai téléchargé Tinder pour la première fois à presque 18 ans. Je m’en souviens, j’étais à la fois excitée et anxieuse à l’idée d’être sur une application de rencontre. Il faut dire que nous étions en 2013 à l’époque, je pensais donc que les sites de rencontres étaient dédiés aux personnes de plus de 40 ans qui souffraient d’un mariage avorté. À bientôt, 30 ans (à une année et demie près, certes), l’application est devenue la norme de la rencontre et n’est plus le rendez-vous des divorcés, puisqu’elle mène même très souvent au mariage (21 % des couples mariés de 25 à 34 ans ont fait connaissance sur une app de rencontre, d'après une étude). Si j’avais Tinder à 18 ans, j’ai attendu d’en avoir 25 (et six années de couple terminées à mon actif) pour faire une date via appli, comme j’aime à les nommer.

Récemment, alors qu'on parlait dating avec des collègues, l'une d'entre elle m'a annoncé “Tinder c’est pour les rencontres sans rien de sérieux, Hinge c’est pour trouver l'amour”. J’ai rigolé, mais elle n’en démordait pas. Ah bon, vraiment ? Je repense à toutes mes dates via appli des années passées et celle que j’ai utilisé. Tinder, Tinder, Tinder, Tinder, Bumble, Tinder, Bumble… Merde alors. Heureusement, j’ai quelques Bumble pour sauver les meubles – les rares fois où j’ai accepté de faire le premier pas. Y aurait-il une corrélation, un lien de cause à effet ? Je n’ose pas y croire. 

Choisit-on réellement l’application de rencontres sur laquelle on s’inscrit en fonction de ses attentes ? La question s’immisce dans mon esprit. Pourtant, mon choix de prédilection se faisait surtout pour les profils proposés, les réponses reçues ou le concept – de temps à autre, j'aime pouvoir prendre les choses en main sur Bumble. Sur chaque appli, on peut indiquer le type de relation recherchée : “on verra”, “rien de sérieux”, “relation courte, ouvert·e aux relations longues”, “relation longue, ouvert·e aux relations courtes”, “relation longue”, “partenaire de vie”. Je souris toujours face à ceux qui cochent la dernière option. L’amère en moi ajoute “ouais comme si t’allais trouver l'amour de ta vie sur une app, ouais”, quand la romantique adhère totalement à l’idée d’afficher clairement ses envies, tant pis si certain·es trouvent ça naïf. 

Devrais-je faire défiler mon index vers d'autres contrées ? Hinge, j’y suis inscrite et j’ai toujours trouvé que les choix proposés étaient plus alléchants. Oui parce que le marché du dating en ligne est un véritable marché, justement. Chaque stand propose ses fruits et légumes et j’ai toujours préféré malgré moi les petits commerçants aux produits importés, les fraises sont bien meilleures quand elles n’ont pas traversé l’océan sur un bateau cargo (est-ce que cela s’applique aussi aux hommes ? J’en doute, je suis peut-être allée trop loin dans la métaphore). Alors au lieu de m'accrocher à mon Tinder de prédilection, véritable Détraqueur qui m’empêche de dormir, “juste un dernier, peut-être que lui, je vais le trouver cool”, j’ai simplement décidé de donner quelques chances en plus, à son concurrent, Hinge. 

L’application donne envie, il faut l’admettre. Les profils de certains hommes aussi. Ici, ils affichent probablement plus honnêtement ce qu’ils veulent : “my ride or die”, “la femme de ma vie”, “une relation sérieuse”, “je suis en couple ouvert et j’aime ma partenaire, mais je peux donner de l’affection une fois par semaine environ” (ok, ne jouons pas les choqués, je répète : nous voilà au cœur des applications de rencontre, évidemment qu’on trouve de tout). Les profils sont aussi plus travaillés, j’apprends que Marc-André aime flâner en ville, écouter de la musique et parler aux gens. Waouh, je crois que je suis tombée amoureuse ! Mais plus sérieusement oui, grâce au questionnaire proposé par l’appli “Sortir avec moi, c’est comme” ou encore “Un de mes objectifs dans la vie, c’est”, Hinge nous donne plusieurs pistes pour entamer la conversation et ne plus rester silencieuse face à cet énième match, auquel on écrirait bien autre chose que “Salut ça va ? Tu fais quoi dans la vie ? Ça fait combien de temps que tu vis ici ?”.

Et puis il y a les roses. L’application va sélectionner les meilleurs profils, the best of the best, les Hemsworth de la ville, pour les ajouter dans son “Standouts” des profils qui “sortent du lot” comme ils l’écrivent et à qui tu peux envoyer une rose, à l’image du Bachelor, pour leur indiquer “toi là, je te veux”. Malin comme un bon banquier, Hinge offre une rose de temps en temps et te propose d’en acheter 3 pour 12,99$ - ou 50 pour 99,99$, mais soyons sérieux une minute, qui voudrait dépenser 100$ dans des roses quand tu peux te rendre au marché, acheter une barquette de fraises, deux choux et un bouquet de fleurs pour cinq fois moins cher et en profiter pour draguer le producteur ? Comment ça, les hommes avec des fleurs ne vous excitent pas ? Vous êtes sans doute passées à côté de cette image de Jeremy Allen White. 

J'aimerais être un bouquet de fleurs dans les bras de Jeremy Allen White.J'aimerais être un bouquet de fleurs dans les bras de Jeremy Allen White.
Revenons à nos choux, vais-je les planter à la mode de Hinge, offrant une rose à un beau minois, non pas croisé en allant commander ma bière au comptoir du bar, mais sur l’application ? Je ne suis pas dans le Bachelor et j’occupe toujours mes journées avec un métier qui ne me permettra pas d’investir dans une maison au bord de l’océan, alors les Hemsworth attendront, de toute manière, j’ai toujours été attiré par les âmes torturées qui ne sont pas forcément mises sur le devant de la scène – vous aussi, vous préfériez le bassiste au chanteur ? Sur Hinge, chacun peut entamer la conversation, puisque lorsque l’on clique sur la photo d’une personne pour lui donner un cœur (le swipe right de Tinder), une bulle s’ouvre et nous permet de commenter l’image. “Trop beau ton chat François”, “Tu m’apprendras à surfer Noé ?”, plus j’écris, plus je me déteste, je crois que je suis trop vieille pour ça (à d'autres !) et qu’il est préférable de retourner draguer dans les bars

Trois jours passent et je change d’avis. J'y retourne. Parce qu’elle est comme ça mon histoire d’amour avec les applications de rencontre : toujours redonner une chance (et mes données) à l’industrie du dating, alors qu’au fond, qu’est-ce que je cherche, moi ?

En voilà une question qui revient souvent. “Salut Lauréna ? Tu vas bien ? Ah super t’es journaliste, cool cool et t’écris sur quoi ? Ah sympa, tu vas écrire un article sur moi et sur Hinge du coup ? Ah ouais trop golri et tu cherches quoi ici ?”. Midi à quatorze heures, le sens de la vie, le sommeil, à voir les minutes défiler, l’homme de ma vie, celui de ma prochaine nuit, le temps perdu ? 

Un nombre incalculable de temps perdu. Je me souviens quand je vivais à Paris, je suis allée courir un samedi matin. Alors que j'étais sur les quais, à écouter Bon Jovi hurler dans mes écouteurs que je donne à l'amour un mauvais renom, et je me suis demandée le nombre d’heures que j’avais pu passer sur Tinder depuis que j’étais célibataire. La veille, un mec que je devais retrouver autour d’un verre m’avait ghosté ou alors c’était la fois où j’avais encore des papillons dans le ventre après avoir fait une première date dans un restaurant Italien des plus romantiques, je pensais alors que j’allais me marier dans un vignoble du sud de la France avec ce brun au sourire éclatant. Une fois les endorphines de la course à pied redescendues, j’en ai déduit que je n’avais pas besoin de connaître ce chiffre, ma santé mentale m’en remercierait et peut-être aussi, mon estime de moi-même. Cependant, soyons honnête, au fond de moi, je le connais très bien : beaucoup trop d’heures perdues sur les applications de rencontre pour plus de déception que de fun (même si certaines histoires m’ont permis de gagner de la thune puisque j’ai décidé de les écrire et de les vendre à des médias #girlmath). 

Je ne peux pas vraiment dire que je recherche l’amour parce que je n’y croirais guère. Ne peut-on pas trouver l’amour sur Tinder, Bumble, Hinge, OkCupid, Feeld et toutes les autres sur lesquelles nous musclons notre index ? Je suis certaine que si, la preuve, je le vois autour de moi. Dans quelques semaines, j’assisterai au mariage d’une amie qui a rencontré l'amour de sa vie sur Tinder. Comme quoi, tu vois chère collègue, Tinder ce n'est pas que pour les coups d’un soir ! Mais moi dans tout ça ? 

Durant les fêtes de fin d'année, alors que je racontais une énième histoire à ma meilleure amie – qui fait aussi office de psy à distance de temps à autre, elle a souligné quelque chose qui m’a beaucoup plu. Elle me faisait remarquer que j’étais torturée entre mon envie de rencontrer quelqu’un pour vivre un bel amour – à savoir, voyager dans un van et découvrir de nombreux paysages – et l’envie d’expérimenter, de vivre des flirts et de m’amuser. Néanmoins, faisons preuve de réalisme, je ne m’amuse jamais vraiment sur les applications. Il y a toujours ce stress avant un premier rendez-vous, ne jamais trop savoir sur quel pied danser (faire des câlins avant de s’endormir ? Rester pour boire un café ou filer dès le réveil ?) et toutes les questions qui m'assaillent : va-t-on se revoir ? Est-ce que j’en ai envie ? Ou est-ce que j’en ai envie parce que j’ai la flemme de ressentir une nouvelle fois le stress de la première date ? Et cetera et cetera. Vous vous demandez en quoi les rencontres dans un bar ou dans un festival sont-elles différentes ? Elles le sont. Étonnement, elles le sont toujours, grâce à la spontanéité sans doute, mais ce sera un sujet pour plus tard. 

“Relation courte, ouverte aux relations longues”. C’est ce que j’ai coché sur la ribambelle d’appli. Avec les mêmes photos, la même description, pas de doute, cette meuf-là a copié-collé son profil, mais elle n’est on ne peut plus réelle. D’ailleurs, si vous me croisez dans la rue, je ressemble à mes photos, moi. Enfin, j’y ressemble, un coquillage à la main, en maillot de bain ou en haut d’une montagne. À 14h un jeudi, j’ai un chignon gras, des taches de tomate sur mon sweatshirt (merci les spaghettis) et il me manque de l’anti-cerne pour être présentable. La vraie vie. 

“Relation courte, c’est ok, ça veut dire que je ne cherche pas l’homme de ma vie, ça leur fera moins peur”, pense la fille matrixée par le patriarcat. Ça veut dire que j’ai envie de revoir la personne un petit peu, mais que si on ne va pas plus loin que le bout de la rue, c’est ok pour moi. Ça ne veut pas dire que tu peux me ghoster après le troisième rendez-vous, mais malheureusement, il y a une chance sur deux pour que tu l’interprètes comme cela.

“Ouverte aux relations longues”, c’est comme un astérisque qui invite à lire les conditions générales “si jamais tu veux, que ça se passe bien, qu’on s’entend bien, éventuellement, on pourra organiser un week-end dans quelques mois, je te présenterais peut-être mes amis et on pourra dire qu’on sort ensemble”. Moi, j’aime bien l’idée du long, enfin, je l’aime bien jusqu’à ce que je me retrouve à faire une crise d'angoisse, allongée dans le lit d’un mec qui porte des chaussettes Bob l’éponge, qui ronfle à mes côtés parce que je visualise notre futur : nous, un chat, un appartement aux meubles IKEA, zéro passion en commun si ce n’est qu’il me faisait rire lors du premier rendez-vous. Femme qui rit à moitié… Encore une fois, je me suis faite avoir. Fuck le patriarcat. Merde à mon sens de l’humour trop facile (“comme moi”, pensez-vous ? Elle était simple, mais je vous l’accorde. Un point pour la blague). 

J’ai décoché, je choisis “On verra”. Ça veut tout et rien dire. Ça ne veut surtout rien dire. On verra quoi ? Si tu me réponds, si je ne suis pas trop occupée, si le premier verre se passe bien (d’ailleurs, vas-tu payer le premier verre ? Parce que moi, je suis féministe, mais je suis aussi journaliste, et mes bières + les taxes + les tips, si tu payes, je dirai “non” par principe et puis je ferai mon plus beau sourire). On verra s’il n’y a pas quelqu’un d’autre qui entre en jeu, un nouveau match, une rencontre de la vraie vie. On verra si j’ai de la batterie, si tu réponds en moins de trois jours, si je ne me lasse pas, si tu ne me ghostes pas. On verra si j’ai le temps. Mais aujourd’hui, je ne l’ai pas. 

Bienvenue sur Hinge. Ici, les hommes recherchent une histoire et pas un coup d’un soir, m’a-t-on dit. La vérité, c’est que je n’ai actuellement le temps ni pour l’un ni pour l’autre, au grand dam de mon envie d’aventures, de mes envies d’histoires, de mon inspiration qui voudrait me faire raconter toutes mes dates qui n’ont pas encore eu lieu. Je cherche : quelqu’un à qui parler de la météo comme de mes traumas, quelqu’un avec qui boire une bière, lever les yeux et découvrir que cinq heures se sont écoulées en quelques secondes, tant le temps passe vite quand on s’amuse. Je cherche des rires, des balades, des cafés au lit, des verres entre amis. Je cherche à m’amuser, pour une nuit, plusieurs, ou quelques mois ou années, même si ça me fait peur. Mais avant tout, l’aventure. La découverte, les grandes routes interminables à sillonner avec une bonne (ou une mauvaise) playlist, les karaokés aussi, des pancakes le dimanche matin, les montagnes à escalader et les plages sur lesquelles se prélasser. 

C’est ça que je devrais écrire sur Hinge. “On verra”, c’est plus rapide, moins effrayant et puis au moins, personne ne m’enverra “abrège frère”. On est en 2024, ne l’oublions pas. 

Je vous laisse, j’ai un nouveau match. Peut-être que je vais trouver le temps et répondre cette fois. Une bonne surprise pourrait m’attendre à la prochaine notification. 

Bisous,
Lauréna


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