Vava et ses histoires

Des histoires sur l'amour et la vie, que je pourrais te raconter autour d'une bière.

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Par Lauréna Valette
15 mai · 9 mn à lire
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Le petit bout de papier dans la poche 

ou, peut-être, l'histoire d'une rencontre dans un avion.

J’adore les comédies romantiques. J’ai le souvenir d’un hiver, après le divorce de mes parents, où les dimanches pluvieux, ma mère m’amenait dans la zone industrielle à quelques kilomètres de la maison. Il y avait une machine automatique pour louer des DVD. C’est comme ça que j’ai découvert les films aux affiches roses, où la jolie fille tombait toujours amoureuse d’un beau garçon. Des histoires qui tiennent sur un timbre-poste et qui m’ont accompagné, de mes huit ans jusqu’à… encore aujourd’hui. Car même si ce style a totalement matrixé ma vision de l’amour, cela reste le genre cinématographique qui emplit mon cœur de douceur. Je n’y crois pas, mais j’en ai envie quelques fois. J’ai envie de voir Ashton Kutcher débarquer avec un bouquet de carottes, un homme sonner à ma porte avec des cartons sur lesquels il déclarerait son amour ou comme Bridget, de courir en culotte sous la neige, après mon prétendant. 

Il y a quelques années, j’ai découvert la trilogie Before Sunrise. J’ai tout de suite adoré cette histoire d’un homme qui rencontre une femme dans un train entre Budapest et Vienne, et qui va passer une nuit à ses côtés à découvrir une ville, avant de lui dire au revoir. Neuf ans plus tard, ils se retrouveront. J’aime cette idée qui voudrait que l’amour ne soit pas linéaire, on s’aime, on se quitte, on se retrouve, quelques fois, cela peut arriver. 

Moi, le train, je le prends souvent. Il y avait une époque, où je montais dans le Paris-Béziers une fois par mois. C’était mon échappatoire. À cette période-là, je n’en avais pas conscience. Je pensais que j’avais simplement envie de faire 8h de train en moins de 72h pour voir mes parents. Au fur et à mesure de mes réflexions, j’ai réalisé que le TGV, en direction du sud, était ma bouée de sauvetage. J’avais besoin de couper d’un quotidien qui ne me correspondait pas. Je fuyais, d’une certaine façon, avant de revenir, de monter les étages avec ma grosse valise, avec l’espoir d’un changement, qui n’arriva jamais. 

Ces deux dernières années, j’ai fréquemment pris l’avion seule. Des long-courriers pour me rendre à Bali et des trajets en Europe, comme aujourd’hui, dans le vol Tenerife-Paris. Je n’ai pas peur en avion, j’aime plutôt ça. J’adore cette sensation de l’entre deux. D’être dans différents fuseaux horaires, de ne plus avoir réellement d’objectif. Il s’agit simplement de regarder par le hublot, de redécouvrir les chansons téléchargées sur Spotify et de grignoter.

Dans le train comme dans l'avion, il arrive que des protagonistes s’initient dans ces trajets. Seule dans mon fauteuil, mes écouteurs dans les oreilles, je croise souvent un regard qui me fait rougir. Cet été, alors que je rentrais chez mes parents, un très bel Anglais était installé face à moi. J’ai passé 3h à chercher une façon de l’aborder. Dire quelque chose, sourire, trouver une perche à tendre. Je n’ai pas réussi. 

Dimanche dernier, je me suis assise dans le vol Paris-Tenerife à 6h du matin. Je dormais avant même que l’avion ne décolle, trop empressée de rejoindre le pays des rêves avant que mes pieds ne retrouvent la sensation du sable et ma peau la chaleur du soleil. Réveillée par une infinie de nuages dansant dans un ciel bleu, je suis encore un peu dans le coaltar. À ma gauche, un brun tatoué a trouvé place pendant que je jouais à la belle au bois dormant. Ma première pensée fut "oh non, il m’a certainement vu dormir la bouche ouverte". Bercée par l’illusion qu’une relation amoureuse est possible avec le moindre individu qui est à mon goût et dans mon champ de vision, je ne trouve pas mieux que de me déprécier. Peut-être que brun barbu s’est dit "oh une jolie fille avec sa veste léopard et son masque rose sur les yeux, elle doit faire de beaux rêves". Ou peut-être qu’il ne s’est rien dit du tout. 

Du coin de l’œil, je l’observe. Il souligne des passages de son livre, il a plusieurs tatouages dont les mots "Veni Vivi Imparavi" au-dessus du coude qui attisent ma curiosité. Dans une comédie romantique, j’aurais essayé d’attirer son regard, je lui aurais posé des questions sur le livre qu’il lit. Mais il est tôt, je m’apprête à retrouver mes meilleurs amis, et je n’ose pas. Je répondrai seulement à sa question "Vous êtes pressée ?", au moment de sortir de l’avion. Et je laisserai le destin remettre le beau brun barbu tatoué sur mon chemin, si tel est le choix de la vie. 

Une semaine passe, dimanche 8h30, je suis dans la voiture pour me rendre à l’aéroport. Les copains sont sûrs que je vais le retrouver. C’est logique, disent-ils, il n’y a pas beaucoup de vol pour rentrer à Paris, s’il est resté une semaine, il sera là. 

Je bois un café en attendant l’embarquement. Comme d’habitude, je suis en avance. Je lève la tête de mon téléphone, il est là. Mon cœur s’arrête, je suis gênée, je baisse la tête, je suis incapable de lui sourire maintenant, je dois brainstormer avec moi-même. Que dire, que faire, comment je suis. Est-ce que je suis belle sans maquillage, je suis plus bronzée que la semaine dernière, mais encore une fois, c'est tôt le matin. Je sais qu'il m’a vu, ses deux amis lui proposent de prendre un café, et évidemment, le trio s’installe à quelques mètres de moi.

Je monte dans l’avion. Peut-être qu’il sera de nouveau assis à côté de moi, ce serait drôle. Je laisse le destin faire ses jeux, j’aime bien accueillir l’inattendu.

Je regarde les gens avancer dans l'allée et le voilà. Quand nos regards se croisent, je lui souris. Je suis prête. Après tout un sourire ce n’est rien, je suis une grande fille, je peux sourire à un homme que je trouve attirant dans un avion, et oui, les comédies romantiques m’ont appris que c’est comme ça qu’un scénario commence. Le boys band est dans le couloir, les trois me regardent, je fixe ce brun barbu dont le sourire doit faire chavirer le cœur d’un sacré nombre de filles. Je suis un peu gênée, il me rend mon sourire. Ses copains rigolent lorsqu'ils réalisent qu'ils ont les numéros 19 E et 19 F, devant moi. Son numéro de siège à lui se situe tout au bout de l’avion. C’est drôle la vie. 

4h15 de vol, ça laisse du temps pour réfléchir. Comment vais-je l'aborder ? Je ne peux pas reprendre mon quotidien sans lui laisser mon numéro. Non, dans un film, il se passe quelque chose. Je ne peux pas rougir devant lui deux fois en une semaine, dans cet avion, et partir l’air de rien. Je réfléchis. J’attrape mon carnet, arrache une page et j’écris entre deux turbulences, de mon cœur et de l’avion "Si tu veux qu’on se raconte notre séjour à Tenerife autour d’un verre 06 7X XX XX XX, Lauréna.". Simple, efficace, je souris. Je tremble un peu aussi, peut-être que je ne trouverais pas le courage de lui donner. 

L’avion atterrit à Paris. Il fait soleil, dedans comme dehors, c’est fou comme une semaine au bord de la mer avec de belles personnes en plein mois de janvier, ça fait du bien. Les gens descendent, je traîne un peu. Les deux amis du brun saisissent leur sac et vont vers la sortie. Je me lève, attrape mon gros sac à dos et descends par le fond. Il est là, lui aussi, il traîne des pieds, il me regarde sortir, il me sourit. 

Peut-être que je m’avance vers lui pour lui demander si son vol s’est bien passé, en tendant le petit papier que j'avais soigneusement plié et glissé dans ma poche. Peut-être que mes mains sont moites et mon cœur s’accélère. Je lui souris, gênée, il me rend mon sourire et me remercie. 

Pour rejoindre l’aéroport, les voyageurs attendent la navette. Je prends la direction des toilettes et il tourne la tête pour voir où je suis. Quand je m’ajoute à la file d’attente pour la navette, il est là, il me sourit, il me jette des regards. Dans le bus, je suis debout, à quelques mètres de lui, il se tord le cou pour me regarder.

Peut-être qu’à ce moment-là, je commence à lui parler et à lui demander s’il a aimé Tenerife. Je lui tends le papier, en lui proposant de me raconter son séjour autour d’un verre. Il me répond qu’il a une copine, mais qu'il apprécie la proposition. 

Je suis la première à sortir de la navette, il n'est plus dans mon champ de vision. J’avance vers la sortie de l’aéroport, je n’ai aucun bagage en soute à récupérer.

Je marche, une main se pose sur mon épaule. C’est lui, il me demande mon numéro. Il a envie de me revoir, ailleurs, hors d'un avion, sans ses amis. Il est troublé de demander ça, vacille d’un pied à l’autre. C’est charmant, je lui tends le papier, en lui disant que j’adorerai. 

J’attends le Orly Bus. Je regarde la porte, le papier dans ma poche me brûle les doigts. Pourquoi est-il toujours là celui-là ? Pourquoi est-ce que je n’ai pas osé lui donner, après ses sourires, son regard qui me cherche. Je pense à toutes les rencontres, celles qui ont lieu, celles qui n’aboutissent jamais. Je pense aux films, aux comédies romantiques. À tous ces hommes qui abordent des femmes dans l’avion, qui leur courent après dans les aéroports. Je pense à Richard Curtis, Rob Reiner, Anne Fletcher, Adam Brooks, tous ces réalisateurs et toutes ces réalisatrices, qui m’ont appris que c’est aux hommes de saisir les opportunités, de courir, de se présenter. Je pense aux dessins animés. Pourquoi la princesse doit toujours être sauvée ? Pourquoi dans ma tête, c’est à l’autre d’agir, de saisir la perche, de me tendre un bout de papier ? Pourquoi je n’ai pas le cran. 

Il est là, il arrive vers le Orly Bus. Va-t-il monter dedans ? Ou commander un taxi ? Je laisse mes affaires, je dis au chauffeur de m’attendre et je pars en courant. Peut-être qu’il sourit en me voyant bondir du bus. En un souffle, je lui donne ce fichu bout de papier en lui gliçant un "écris-moi". 

Le bus s’en va. Il traverse Paris, je glisse ma main dans ma poche et je souris. Tous ces "peut-être", toutes ces envies de sauter le pas, cette peur incessante. Mais peur de quoi ? De ne pas être assez, de se ridiculiser, de se prendre un stop. Je repense à cette fois où à 12 ans, à la plage, je regardais intensément un garçon de mon âge. Il a nagé jusqu’à moi, il m’a lancé un "Bonjour" et m’a questionné, sur mon prénom, ma ville d'habitation. J’ai paniqué, je suis partie dans crawl digne de Laure Manaudou, me réfugier sur ma serviette, loin de tout risque. Risque de rencontrer, risque de ne pas être assez, d’être trop, risque d’être vulnérable, risque, risque, risque. 

Je sors du bus. Peut-être qu’il m’attend devant, il me propose d’aller dans un bar juste à côté, il connaît bien le coin, il adorerait entendre mes aventures. Je le suis le sourire aux lèvres. 

Je suis dans mon quartier. De retour dans un Paris gris, dans un Paris froid, le cœur réchauffé par le soleil de Tenerife, le rire de mes amis et les croquettas espagnoles. 

Je monte mes escaliers, je me prépare un thé. Je reçois un SMS "Ça te dirait de boire une bière cette semaine ?". Peut-être qu’il s’agit de mon crush, peut-être que c’est ma meilleure copine, peut-être que c’est mon voisin du vol Paris-Tenerife du dimanche 22 janvier, le brun barbu tatoué qui soulignait les phrases de son livre. Peut-être. 

Que le bout de papier arraché dans mon carnet soit dans la poche de mon manteau ou de sa polaire blanche de parfait bobo, ça n’importe guère. Ce qui compte, c’est l’idée de ce petit bout de papier. Toi, moi, quiconque s’aventure dans cette newsletter, j’espère que la prochaine fois que tu passeras deux vols à faire des sourires à un.e parfait.e inconnu.e, tu repenseras à cette histoire. Aucune comédie romantique ne m’a appris que la femme peut faire ce moove, le fameux moove lors de la meet cute. Cette rencontre mignonne qui signe le début de l’histoire. Mais si tu en as envie, peut-être, peut-être, que ça vaut le coup d’essayer.

Bisous,
Lauréna


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