ou l'histoire du morceau de pomme craché sur mon crush du lycée.
Je suis attablée en terrasse avec une amie de toujours, on boit des bières et, de fil en aiguille, on se met à évoquer un sujet qu’on adore : les relations. Comment aimer ? Comment gérer ses relations, qu’elles soient exclusives ou non ? Existe-t-il sur terre une personne qui est faite pour nous à 100% et qu’on aimera toute notre vie ? À travers nos prismes et notre orientation différente, on écoute le point de vue de l’autre, on essaye de le comprendre et on discute en enchaînant les verres jusqu’à se faire rappeler à la réalité par un bâillement "ça fait déjà 4h qu’on est là, j’ai l’impression qu’on vient à peine d’arriver". Parler d’amour, ça nous rassemble. On n’aime peut-être pas le même type de personne, on n’a peut-être pas le même rapport à la sexualité, mais on aime, fort, souvent, et surtout, on adore en débattre. Cette amie, donc, mentionne un potentiel futur date, mais commence à stresser à l’idée de s’y rendre "imagine ça ne marche pas avec la meuf". Ça me fait sourire, car avant chaque date avec un homme, je suis dans le même état et je me dis la même chose. Cependant, il y a quelques semaines, j’ai eu un petit déclic.
Quand j’ai publié ma newsletter sur l'histoire du tiramisu, j’étais plutôt contente de moi. Je l’aime bien cette newsletter. Ce n’est pas la première fois que j’écris sur quelqu’un, il y a eu mon ex, des dates Tinder, disons qu’on peut facilement se retrouver par ici. Quand j’ai mis en ligne "Le bruit de ses pas sur le parquet", j’ai pensé très fort que je n’avais aucune envie qu’il tombe un jour dessus. En sachant pertinemment qu’en racontant ma vie sur Internet, cela peut arriver. Dès lors, à la publication de cette newsletter qui part de l'histoire d'un tiramisu, pour en réalité évoquer mes blessures intérieures, je n'avais pas trop réfléchi à la question d'être lu, par le cuisinier du fameux dessert. Il ne me suivait plus sur les réseaux sociaux, on ne s’était pas écrit en un an, ce serait quand même cocasse qu'il tombe dessus. Mais eh, ma vie est cocasse, n'est-ce pas ?
C’est comme ça, que pendant les fêtes, en sortant de la douche et en attrapant, mon téléphone, je suis tombée nez à nez avec son prénom, accompagné des mots "un nouveau message". Évidemment, sinon ce ne serait pas ma vie, il faut bien que ça n’ait aucun sens. Il m’écrivait donc pour me dire que, par le plus grand des hasards de l’existence, il avait pensé à moi et avait regardé ce que je devenais via Instagram. Il avait alors lu ma newsletter fraîchement publiée. Dans la vie, tu peux rencontrer quelqu’un, et puis deux ans après, repensé à cette personne dans les trois jours où elle a mis en ligne une anecdote te mentionnant. Genre ça arrive vraiment.
Toutefois, ce n’est pas réellement ça qui m’a marqué. Moi aussi, je fais souvent ça. Une chose en entraînant une autre, quelqu’un revient dans mon esprit et je m’empresse d’aller sur Instagram pour découvrir ce qu’il devient. C’est comme ça que j’ai appris que mon ex avait un chien, que ce mec qui ne voulait pas être en couple avait finalement trouvé chaussure à son pied, ou que celui que j’ai fréquenté durant un été, était devenu digital nomad et parcourait le monde.
Dans son SMS, Monsieur Tiramisu m’a notamment écrit une phrase qui m’a fait sourire et qui m’a fait pas mal réfléchir à tous ces moments un peu "à côté", que j’ai vécu à travers le temps, dans mes relations. Il m’a dit qu’il ne se souvenait pas du tiramisu. La machine dans ma tête s’est mise en marche, et avec elle, un flot de pensées.
Comment vit-on dans la mémoire des autres ? Ce petit événement, qui fait partie de ces anecdotes que je raconte ici, qui m’a certainement fait me retourner dans mon lit la nuit, ne s’est pas ancré dans sa mémoire à lui. Je repense alors à cette fois, où à 16 ans, je me suis ridiculisée face au garçon que j’aimais bien. Si au collège il y a eu quelques moments gênants, je crois que cette fois-là, à déclencher un truc, en tout cas, ça n'est jamais sorti de ma tête. Je suis en seconde et depuis plusieurs mois, j’échange des messages tous les jours avec un terminale. Je l’adore, il fait du skate, il a une énorme mèche de cheveux, il est populaire. On parle musique, on se donne des surnoms, il me fait me sentir importante. Pourtant, il a une copine - avec qui ça ne va pas, d’après ses dires, et au lycée, on ne passe pas de temps ensemble. Mais ni une ni deux, je finis par développer mes sentiments de lycéenne et c’est clair comme l’eau de roche : c’est mon crush, je veux sortir avec lui, je veux qu’il me prête son sweat et qu’on se fasse des bisous sur le banc devant le lycée de 16h à 17h.
Quand je le croise au lycée, je panique. Il faut que je sois naturelle, que je n’en fasse pas trop, mais que je sois suffisamment jolie et souriante pour qu’il se dise "Hey ! Pourquoi ne pas quitter ma meuf pour Lauréna ?". Je ne dois pas articuler des bêtises, ne pas me ridiculiser. On se croise une fois par jour pour se faire la bise, il faut donc que ce soit parfait. Parfait. Tu peux y arriver Lauréna, tu peux le faire !
Un lundi après-midi, je suis avec une copine et on monte les escaliers de la cour du lycée. On discute et je mange une pomme. C’est cette période de ma vie où j’ai décidé de manger six pommes par jour, consciemment, parce que c’est bon pour la santé, inconsciemment, car j’ai mis dans ma tête que je voulais être plus mince que mince. On parle avec cette copine et je le vois arriver de loin. Il a sa mèche dans le vent, ses mains dans les poches, on va se faire la bise, c’est le moment de la journée, ça va arriver. Mais je dois lui dire quelque chose ! Je ne peux pas me contenter d’un “salut ça va oui et toi”. On se sourit, je m’arrête à sa hauteur, je lui annonce "Salut" et là ! ET LÀ ! ET LÀ ! Un morceau de pomme quitte ma bouche et part dans sa direction. UN MORCEAU DE POMME. UN PUTAIN DE MORCEAU DE POMME. Et c’est comme ça que j’ai craché de la pomme sur mon crush du lycée.
Ça ne l’a pas tant choqué, même s’il avait l’air très mal à l’aise pour moi. De mon côté, j’ai dû en parler à toutes mes copines et très mal dormir les nuits qui ont suivi. J’ai fini par arrêter de manger des pommes à répétition, j’ai continué de lui écrire tous les jours. Il n’a jamais rompu avec sa copine pour moi, même s’il disait qu’il aimait me parler, que ça se passait mal entre eux, que j’étais une bouffée d’oxygène dans sa journée et tout le tralala. À la fin de l’année scolaire, alors qu’il s’apprêtait à quitter le lycée pour l’université, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai envoyé un SMS pour lui expliquer que je l’aimais depuis plusieurs mois. Comme j’aimais à 16 ans. Il m’a répondu que ce n’était pas réciproque (évidemment). J’ai dansé en Espagne et j’ai fini par oublier le skateur brun à la mèche trop grosse. À la rentrée suivante, j’ai jeté mon dévolu sur un nouveau protagoniste. Par contre, je n’ai jamais oublié la pomme. La honte que j’ai ressentie à ce moment-là, l’envie de disparaître six pieds sous terre. Cette vulnérabilité, tout ça pour un tout petit morceau de pomme.
La corrélation entre ces deux anecdotes n’est pas alimentaire. C’est simplement une histoire de mémoire. Quand j’ai lu le message de Monsieur Tiramisu, j’ai repensé à cette affaire. On ignore totalement la façon dont on vit dans la mémoire des autres. Un petit instant qui nous semble énorme, sera, au final, insignifiant pour l’autre.
Ce skateur a très certainement oublié que je lui ai craché de la pomme dessus. Il m’a d’ailleurs peut être totalement oublié moi. À chaque fois que je me flagelle mentalement parce que j’ai dit quelque chose de bête, j’ai agi de façon ridicule, j’ai manqué de tomber, j’ai été maladroite, pas assez intéressante, trop bruyante… tout se joue dans ma tête. La personne en face, peut-être qu’au fond, elle ne voit pas tout ça. Peut-être que ce message que j’envoie et qui me tord l’estomac, sera reçu dans le plus grand des calmes par l’autre. Et dans sa mémoire, il restera seulement le visage d’une fille souriante, et non toutes ces petites miettes qui me semblent ridicules, que j’ai semé.
J’ai raconté tout ça à mon amie. Ça a dissipé son stress, et elle s’est écriée “pourquoi pas”. À force de lui répéter : “si ça se passe bien, vous vous reverrez et trop cool ; si ça se passe mal, dans deux ans, elle aura sans doute oublié tout ce que vous vous êtes dites, donc ce n'est pas grave”, elle a fini par envoyer un message à sa crush, qui a accepté de la voir. It’s a date.
Je cogite sur cette histoire de mémoire, toutes ces fois où j’en ai fait des caisses : choisir le bon chemisier, déblatérer des choses intelligentes, avoir l’air bien sous tous les angles. Pour quoi ? Souvent pas grand-chose. Dans ma mémoire, du côté de l'espace réservé aux hommes que j’ai rencontrés, ceux avec qui j’ai partagé une heure comme plusieurs mois, je retiens généralement les cheveux, leur regard, le lieu où on s’est vu, quelques informations échangées et les instants qui m'ont coupé le souffle comme ceux qui m'ont fait souffler. Les pensées, les "qu’est-ce qu’il raconte ?", les frissons quand il passe sa main dans mon dos, les chaussettes Bob l’éponge, ce parfum que j'adore et qu'il porte... En fin de compte, des petites bribes de vie partagées dans un instant assez éphémère.
C’est sans doute ça, qu’on est dans la mémoire des autres. Une bribe de vie. Une rencontre au cours de l’été, une vague de chaleur dans le cœur qui fait oublier le froid de l’hiver. Un cocktail trop sucré avalé dans un bar sombre, une danse partagée en festival, un baiser sous les étoiles. Une photo capturée qui s’ancre dans l’esprit de l’autre, sans les détails, sans les moins, sans les nœuds au cerveau. Juste une image, qui existe, qu’on oublie de temps en temps, qu’on finira peut-être par oublier définitivement, mais qui le temps d’un instant s’est figée pour continuer de vivre, même après la rencontre, même après la gêne et la honte. Seulement un petit bout de moi, qui navigue dans les boîtes à souvenirs de tous ces hommes qui ont fait battre mon cœur ou qui ont torturé ma tête. Je leur laisse mon sourire en guise de souvenir quand ils me laissent des anecdotes à raconter ici.
Alors finalement, stresser, se questionner, se juger, c’est être tellement sévère avec soi-même. Car 10 ans après, 2 ans après, quelques mois seulement, nous souvenons-nous réellement de ces premiers moments échangés ou uniquement des sentiments qu’ils nous ont procurés ?
Bisous,
Lauréna
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