ou la comparaison entre mon état mental et un bol.
J’ai voulu écrire sur mon état mental, mais je n’ai pas trouvé les mots. J’ai donc fouillé dans mes brouillons, je suis tombée sur une newsletter rédigée en septembre, dans laquelle je parlais de mes anciens crushs qui continuent d’orbiter autour de moi. Elle est franchement pas mal et je suis sûre que nombreuses seront les personnes à s’y reconnaître. Mais ce ne serait pas honnête. Car en ce moment, je n’ai pas la tête à penser à mes crushs, je n’ai pas la tête à swiper ou à dater. Parce qu’en ce moment, ça ne va pas fort. J’ai reçu un message privé dans lequel on me complimentait pour ma newsletter, ça m’a beaucoup touché. Je me suis alors dit que je ne pouvais pas faire semblant. L’histoire de l’orbiting attendra.
Ça ne va pas. Ce n’est pas grave, ce n’est pas terrible, mais ces derniers temps, je ne suis pas franchement heureuse et épanouie. Ce qui est plutôt drôle quand on y pense, car il y a quelques semaines, j’étais dans un état de plénitude absolue sur une plage paradisiaque à Bali. Comme quoi, ça change très vite dans cette petite tête.
Cette semaine, mon bol breton a glissé et a parfaitement épousé le carrelage de ma cuisine. J’ai poussé un “nooooon” et je l’ai vu, sur le sol, éclaté en cinq morceaux. J’ai un peu eu la gorge nouée, mais toi-même tu sais, ici, on ne sait pas pleurer. Donc j’ai juste ramassé les morceaux, j’ai écrit à un copain “je suis trop triste mon bol breton est cassé. Mais ça va aller, c’est la vie, c’est pas grave“. Effectivement, je suis le cliché même de la positivité toxique. Lauréna, on a le droit de ne pas aller bien. Toi qui me lis, tu as le droit de ne pas aller bien. Et tu as le droit de prendre 15 minutes pour chouiner ton bol breton adoré.
Quand ma meilleure amie a vu la story de cet objet cassé (il ne se passe pas grand-chose dans ma vie, de ce fait, oui, je documente ce genre d’événement sur Instagram), elle a commenté "POV : tu connais la valeur de ce bol pour Lauréna”. Eh oui. Si tu t’appelles Louise, Jean, Paul ou Anna, tu ne peux pas comprendre. Mais quand tu t’appelles Lauréna, un bol à ton nom, ce n’est pas commun. Tous les étés, quand on partait en vacances avec mes parents, je cherchais mon prénom dans les magasins de souvenirs. Un porte-clefs de Corse, une tasse de Biarritz, n’importe quoi avec écrit “Lauréna”. En vain. Jusqu’à ce jour, à Saint-Malo.
Nous sommes en 2019 et ça ne va pas fort dans mon couple. Parmi les essais mis en place pour maintenir le bateau à flot - qui se transforme tout doucement en une planche pour une personne (ciao ciao Jack) - un week-end à Saint-Malo est organisé. Première fois dans cette ville qui deviendra vite un énorme coup de cœur. Dans la vie, je suis une touriste, c’est ainsi. J’achète des magnets kitsch pour ma mère, j’envoie des cartes postales et je prends en photo les monuments. En bonne touriste, à Saint-Malo, je ne voulais pas repartir sans mon bol breton. Problème, j’ai un prénom plutôt rare. Je commence donc à chercher mon sésame dans un premier magasin, et la moitié du couple entame un discours dans lequel il explique que je perds du temps et que je ne trouverai jamais un bol avec écrit Lauréna, il faut que je sois réaliste. C’est mal me connaître que de penser que je vais abandonner au premier échec. Si je dois faire tous les magasins de Saint-Malo, je les ferai. Je ne suis pas la seule Lauréna de France, ce bol doit bien exister. J’ai quand même eu des difficultés, j’ai hésité à acheter un autre prénom, finalement, pourquoi ne pas me rebaptiser Laura ? Et puis dans une énième boutique de touristes, sur le tourniquet, il était là. Plein de poussières, blanc, avec les bords bleus, les petits personnages au milieu et Lauréna écrit devant. Il était là, dans la bonne orthographe. Il existe. Après avoir poussé un cri strident de joie, j’ai commencé à ricaner sur le fait que ce bol avait certainement passé sa vie dans un carton, dans l’attente de ma venue. Mais il était mien. Cheh l’ex, tu vois, j’avais raison.
Je suis donc repartie avec mon bol, que j’ai chéri très fort pendant toutes ces années. Un jour, ma cousine a ébréché son bord et m’a averti en panique. J’ai pardonné, la vaisselle ça s’abîme, c’est la vie.
Jusqu’à ce jeudi matin, où je rapportais mon plateau de petit-déjeuner dans ma cuisine (la moitié de la pièce à vivre) et je me suis pris l’angle du bar dans la hanche. J’ai fait un mouvement brusque, le bol est tombé. Mon appart est petit, des meubles, je m’en prends tous les jours. Ça devait arriver. J’ai ramassé les cinq morceaux, je les ai lavés et je les ai posés sur un torchon.
Ils sont restés là quelques heures, jusqu’à ce que je me dise que j’allais les recoller. Après tout, pourquoi pas. Je ne sais pas combien de bol Lauréna existent à Saint-Malo, mais celui-là ne rejoindra pas la poubelle jaune. Avec patience, j’ai donc fixé un morceau après l’autre. En attendant qu’il sèche, pour être sûre que ça ne bouge pas. Il y a peu, j’avais parlé avec un ami de l’art japonais du kintsugi, qui consiste à réparer les objets cassés en sublimant les fêlures avec de l’or. Une façon d’accepter les imperfections, et d’en faire, en fin de compte, toute la beauté de l’objet. J’ai toujours trouvé cette philosophie très jolie. Alors, j’ai ajouté du vernis doré aux fêlures de mon bol, pour sublimer cette chute et me rappeler, qu’on se remet de tout. Après la tempête vient le soleil, et tout ira bien. Ce n’est qu’une question de semaines, et les choses se remettront en place. Les journées sembleront moins longues et je trouverai, de nouveau, ma place.
En ce moment, ça ne va pas. Ce n’est pas grave, c’est la vie. Je suis en bonne santé, mes parents sont en bonne santé, je n’ai pas vécu de drame, mais en ce moment, je ne suis pas épanouie, je ne suis pas heureuse. Et j’ai globalement envie de rien. C’est très difficile pour moi de l’accepter, car ce n’est pas dans mon caractère. Je suis la joyeuse, je suis toujours partante pour tout, mais ces derniers jours, j’ai mal à l’âme. Je n’ai envie de rien. Ni de me lever pour aller courir sous le soleil, ni d’écrire des histoires, encore moins de regarder Netflix ou de me plonger dans un livre sous la couette. C’est compliqué d’accepter ces émotions qui ne me sont pas si habituelles.
Comme le bol cassé, je sais qu’avec un peu de glue et de doré, je serai bientôt de retour dans la team des gens heureux. N’ayant pas vraiment de recette magique, aucune colle spécifique pour réparer les petites fêlures du changement, j’y vais étape par étape. Je sors marcher sous le soleil quand je sens que je m’enfonce un peu trop dans le canapé sur TikTok. J’ai acheté du chocolat noir à la fleur de sel, car j’ai déjà écrit dans des articles qu’il aide à lutter contre les coups de blues. J’écoute le dernier album de Taylor Swift pratiquement tous les jours. Je vois mes amies, même si certains soirs, je préférerais m’enrouler sous ma couette, je ne manque pas l’occasion d’apercevoir leur sourire et de les entendre me raconter leurs aventures. Et j’essaie d’être la plus honnête possible : non, cette période n’est pas aussi belle que ça en a l’air en story Instagram. Oui, c’est sympa de boire son café en terrasse le mardi après-midi pendant que tout le monde travaille, mais au bout de plusieurs jours, ça manque de saveur. Oui, ça fait rêver d’avoir du temps, mais moi, ça ne me rend pas si heureuse.
Bientôt, cette période de transition sera terminée. Il faut juste accepter, que ces émotions, elles sont là, et je ne peux pas vraiment y faire grand-chose. Non, ça ne peut pas tous les jours aller bien, non, on ne peut pas tous les jours être heureux.se et épanouie. Et c’est ok. Sur le chemin de la vie, il y aura des matins gris, des matins sans envie, des jours où l’énergie n’est présente que pour scroller TikTok. Des après-midi où il faudra se tirer par le bras, des soirs où il faudra se forcer un peu. Tout en sachant que ça ne durera pas. Un matin, il fera un petit peu plus beau, ce sera un petit peu plus simple, et ce flottement d’incompréhension disparaîtra comme il est arrivé.
Et toujours garder quelque part en tête, que c’est ok de ne pas aller très bien, de ne pas se sentir en grande forme et d’être un peu largué. On ne peut pas être un soleil brillant, éclatant et rempli de joie, tous les jours. C’est ok, d’être un bol breton fêlé, recollé grâce aux rires des copines, au chocolat noir et à Taylor Swift.
Bisous,
Lauréna
Billet publié initialement le 13 novembre 2022.
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